Gleizal, projet de décret

Projets de décrets proposés par Claude GLElZAL, député de l’Ardèche à la Convention nationale,
le 26 décembre 1792,
sur la peine à infliger à Louis Capet et sur les mesures à prendre après son jugement.

L’ASSEMBLÉE NATIONALE de 1789, en adoptant le gouvernement monarchique, laissa Louis XVI sur le trône, quoique, par sa fuite criminelle à Varennes, et sa protestation contre la loi même, qui lui déférait le glorieux nom de restaurateur de notre liberté, il eût perdu celui de roi des Français. Cette faute de l’assemblée opéra dans la constitution un vice radical qui, sans doute, devait bientôt en opérer le renversement. Le pouvoir en quelque sorte absolu, délégué à un roi, représentant héréditaire de la nation, revêtu d’une inviolabilité ridicule, qui, en lui laissant la faculté de paralyser à son gré, par l’effet du veto, la volonté nationale, lui permettait de commettre impunément toutes sortes de crimes, ayant à sa disposition une immense liste civile, pour corrompre tous ceux qui l’approchaient, afin de rendre le despotisme royal plus terrible et plus tyrannique. Ce pouvoir illégal était une monstruosité révoltante, que la sagesse humaine ne pouvait pas laisser subsister longtemps, à côté des droits imprescriptibles de l’homme. Aussi en est-il résulté une lutte continuelle entre le génie bienfaisant de la liberté et le despotisme ; et ce combat violent a fini par la victoire complète du premier et la chute honteuse de celui-ci.

Tandis que Louis XVI abusait de la crédulité de la nation magnanime, qui n’eût jamais dû l’honorer de sa confiance, et protégeait dans l’intérieur l’aristocratie et le fanatisme qui la déchiraient ; ses frères, la noblesse et une partie du clergé réfractaire secondant, ses projets hypocrites et perfides, conspiraient ouvertement au dehors contre leur patrie, pour lui susciter une guerre à laquelle ils la croyaient hors d’état de résister, et qui heureusement a assuré leur honte et leur perte, au moment même où l’effet d’une insigne trahison semblait promettre quelque succès à leurs horribles tentatives.

Mais l’immortelle révolution du 10 août a produit un autre événement auquel, sans doute, ils ne s’attendaient pas. Le trône de Louis XVI a été renversé ; le tyran a été pris les armes à la main, faisant égorger de sang-froid les patriotes ; la nation est rentrée dans les droits qu’il avait usurpés, et les représentants du peuple français se sont réunis en convention nationale le 20 septembre.

Ô jour fortuné ! où, comme par un présage de nos victoires futures, l’armée française, composée de dix-sept mille hommes, repoussa, pour la première fois, les nombreuses phalanges des despotes, tandis que les législateurs signalaient l’importante carrière qu’ils allaient parcourir par l’abolition solennelle de la royauté.

Depuis cette mémorable époque, les despotes et les esclaves coalisés n’ont pas cessé de fuir devant les soldats de la république ; ceux-ci ont planté l’arbre de la liberté dans la Belgique, à Nice, à Mayence, la Savoie est devenue le quatre-vingt-quatrième département de la France, et les héros de nos armées ont déjà plus d’une fois donné à leurs représentants un grand exemple de sagesse, de persévérance et de courage qu’ils doivent imiter, s’ils veulent sauver la chose publique.

La Convention s’occupe dans ce moment du sort de Louis Capet. Déjà, après avoir écarté l’absurde proposition de sa prétendue inviolabilité, elle a décidé qu’il sera jugé par elle. Il a été traduit à la barre, où il a subi son interrogatoire, et ses réponses sont dignes d’accompagner ses crimes, puisqu’il a eu l’impudente mauvaise foi de désavouer son écriture.

J’ai lu, comme juge, les pièces de son procès ; j’ai étudié l’acte énonciatif de ses délits, que j’ai comparés aux faits et au résultat des pièces, et j’ai été convaincu que Louis Capet a été le chef des conspirateurs, dont les abominables manœuvres ont désolé la France depuis 1789 ; qu’avant la Constitution, il a formellement méconnu, et même voulu anéantir l’autorité nationale, pour conserver sa puissance despotique ; et que, depuis la Constitution, il n’a usé des prérogatives qu’elle lui accordait, que pour subjuguer et asservir la nation française, protéger les émigrés, favoriser l’invasion de tous nos ennemis, attirer une cohorte de cannibales dans le sein de la malheureuse patrie qui l’avait adopté, et partager avec eux ses dépouilles, après s’être tous baignés dans le sang des citoyens qui l’auraient défendue ; que le barbare Brunswick faisait la guerre au nom de Louis Capet ; et que. non-seulement celui-ci a entretenu ses gardes du corps chez l’étranger, il a encore fait passer à l’Autriche de nos munitions et de notre numéraire ; il a cherché à discréditer notre papier-monnaie , et à corrompre l’esprit public par toutes sortes de moyens. Je me suis convaincu que l’incendie de Courtrai, la trahison de Longwi et de Verdun ont été le résultat de ses ordres sanguinaires, ou de l’insouciance de son cœur pervers, comme les vils moyens de corruption employés tour à tour, pour désorganiser notre armée de ligne et notre marine, et pour corrompre les représentants du peuple et les fonctionnaires publics, ont été la suite de son complot abominable d’anéantir la liberté. Je me suis convaincu de la fausseté de ses serments, du plan horrible d’incendie et de disette combinés avec ses agents féroces et mercenaires ; de son affectation à n’envoyer à l’étranger que des agents contre-révolutionnaires, pour seconder ses projets liberticides et avilir la nation ; à ne pas révéler le secret du traité fait à Pilnitz, à repousser avec dédain la prévoyance et les sages conseils des patriotes ; à résister à la volonté générale, en s’opposant aux mesures de sûreté générale adoptées par le Corps législatif, en refusant d’obéir au décret de licenciement des Suisses, et en différant l’exécution de ceux rendus contre la féodalité et le fanatisme, parce qu’il protégeait les fanatiques et les nobles.

Je me suis rappelé ensuite la dilapidation de nos finances, le carnage affreux de la Bastille, du Champ-de-Mars, celui dont Nancy, la Chapelle, Vincennes, Nîmes, Uzès, Montauban et Avignon ont été le théâtre ; le trop fameux camp de Jalès, la conspiration de Saillans, la révolte d’Arles, l’armée dirigée contre les Marseillais, les désastres de nos colonies, les malheurs de Lille et de Thionville, la dévastation du territoire français par les féroces compagnons des frères de Louis Capet, la Saint-Barthélemy préparée pour le 10 août, le massacre épouvantable qui en est résulté, la mort de plusieurs milliers de citoyens qui ont péri dans les combats, la conduite hypocrite et ténébreuse de Louis Capet envers nos soldats, et l’état de dénuement où il les a laissés, eux et nos places fortes, pour les livrer sans pitié à la merci des bourreaux, les trames qu’ils ont ourdies avec les hommes méchants et corrompus, dont il a toujours eu soin de s’environner pour allumer, par leur intermédiaire, dans l’intérieur de la France, la torche de la guerre civile. J’ai vu que Louis Capet a été un traître, un parjure, un assassin, avant et après la Constitution ; qu’aucun des fléaux qui ont désolé la patrie depuis la convocation des États généraux, n’aurait eu lieu s’il avait été homme de bien, et je me suis demandé comment, après tant de forfaits, peut-il se trouver encore quelqu’un qui veuille absoudre un conspirateur aussi lâche et aussi criminel ?

J’ai donc acquis une conviction parfaite des crimes Louis Capet ; et après avoir longtemps réfléchi sur la condamnation qui doit être portée contre lui d’après la politique et la justice, je me suis enfin déterminé à penser que l’une et l’autre exigent la peine de mort contre le coupable ; mais j’ai pensé aussi que cet acte rigoureux et juste devait être suivi de quelques mesures nécessaires pour le salut de la république ; on les trouvera dans les projets des décrets que je propose, et dont la lecture suffira à mes collègues, pour en sentir l’importance.

Premier décret.

ARTICLE 1ER
La Convention nationale déclare Louis Capet, ci-devant roi des Français, atteint et convaincu, 1° (transcrire ici ses délits) ; en conséquence , la Convention nationale condamne ledit Louis Capet à la mort ; décrète qu’il sera livré, le 6 janvier, à l’exécuteur de la haute justice.

ARTICLE 2
Après la mort dudit Louis Capet, il sera élevé dans le lieu de la scène du 10 août, un monument, pour rappeler à la postérité cette journée comme le jour du triomphe de la liberté, et la journée du 6 janvier, comme le jour où le peuple français fut réellement délivré du dernier de ses rois.

ARTICLE 3
Le 6 janvier ne sera plus appelé le jour des rois ; il sera désormais un jour de fête nationale.

ARTICLE 4
La Convention décrète qu’il y a lieu à accusation contre la soeur dudit Louis Capet et sa femme, pour fait de conspiration contre l’État ; charge son comité des décrets de lui présenter l’acte d’accusation, pour l’envoi en être fait au tribunal criminel de Paris.

ARTICLE 5
Le fils de Louis Capet sera enfermé, gardé, élevé et entretenu aux frais de la nation jusqu’à sa vingt-unième année : après ce délai, il sera mis en liberté, pour jouir du titre honorable de citoyen français ; il sera doté par la nation lorsqu’il voudra s’établir.

ARTICLE 6
La fille de Louis Capet sera remise à une institutrice pour son éducation ; les frais seront supportés par la nation, qui pourvoira à l’entretien de ladite fille, et la dotera aussi lorsqu’elle voudra s’établir.

ARTICLE 7
L’exécution de ces deux derniers articles est spécialement confiée et recommandée à la commune de Paris.

ARTICLE 8
La Convention nationale, considérant que la tranquillité publique exige l’absence momentanée du reste de la famille des Bourbons Capet, décrète que tous les individus mâles de cette famille sortiront du territoire de la république dans le délai de huitaine et ne pourront y rentrer qu’après quatre années de l’acceptation de la Constitution par le peuple français, à peine de détention perpétuelle.

ARTICLE 9
Charles-Philippe, se disant Égalité, est compris dans la disposition de l’article précédent ; son suppléant sera appelé à la Convention, et le conseil exécutif pourvoira sans délai au remplacement de ses fils, qui seront tenus de quitter l’armée (1).

ARTICLE 10
Le délai ci-dessus fixé ne pourra être abrégé par les législatures, que du consentement et d’après le vœu de la nation française.

ARTICLE 11
La Convention met lesdits Bourbons Capet, leurs femmes, leurs enfants et leurs biens sous la sauvegarde et la loyauté de la nation : ils auront la parfaite disposition de leurs biens.

ARTICLE 12
Après l’expiration desdites quatre années, lesdits Bourbons Capet pourront rentrer en France, pour y jouir du titre de citoyen français.

ARTICLE 13
Le conseil exécutif, les corps constitués et les chefs de la garde nationale de Paris sont chargés, sous leur responsabilité, de veiller à à l’exécution des articles 8 et 9 du présent décret.

(1) Ce qui s’est passé à la Convention, le 16 de ce mois, et dans Paris les deux jours suivants, justifie la nécessité de cette expulsion ; elle est exigée par le salut public, qui, quoi qu’en disent les défenseurs, ou plutôt les esclaves de Philippe, est la suprême loi. Au reste, par quel étrange changement de système, ceux qui proposaient eux-mêmes, il y a quelques jours, l’expulsion de leur idole, sont-ils devenus aujourd’hui les plus fermes partisans de l’opinion contraire ? Pourquoi sollicitent-ils avec acharnement l’opposition du peuple de Paris, en lui rappelant, avec une exagération outrée, les prétendus services de Philippe ? Pourquoi encore, si celui-ci est républicain, comme ils veulent le faire entendre, ne fait-il pas lui-même disparaître l’ombrage que sa présence nous occasionne ? Croit-il que son suppléant n’est pas en état de le remplacer ? Enfin si, comme on n’en doute pas, la Convention peut expulser Louis Capet et le condamner, quand même un département l’aurait choisi pour son représentant, pourquoi n’aurait-elle pas le même pouvoir à l’égard de l’un des parents de Louis Capet, de celui surtout qu’une poignée d’esclaves semble pousser par derrière pour l’aider à monter sur le trône ? Ne doit-elle pas en user, lorsque l’intérêt de la nation entière, dont elle peut exprimer provisoirement la volonté, le lui commande ? Et est-il surtout de sa dignité de s’écarter de ce devoir impérieux pour complaire au caprice de quelques hommes dont l’ambition a besoin sans doute du système anarchique et désorganisateur, qu’ils ne cessent de propager ?

Collection Portiez (de l’Oise), tome 282, n° 110.