En 1884, dans Voyage autour de la République* (p. 39-40), Paul Bosq mentionne toute une série de secrétaires-rédacteurs – dont certains n’ont fait que passer, Robert Mitchell ne laissant même pas de trace : « Parmi les services de la Chambre, nous n’en mentionnerons qu’un seul, le compte rendu analytique, parce qu’il a un caractère tout particulier ; c’est un rendez-vous d’hommes de lettres. Son chef actuel, M. Maurel-Dupeyré, qui date de la fondation et a vu le 15 mai [1848], donne des comédies à l’Odéon. C’est là que Ludovic Halévy a fait la Belle Hélène, Barbe-Bleue et La Grande-Duchesse ; les députés du second Empire trouvaient le genre un peu léger, mais il les désarmait en leur donnant des loges. Paul Dhormoys, ancien préfet, a été longtemps secrétaire-rédacteur ; c’est un des hommes qui ont été le plus mêlés, au moins comme amateurs, au mouvement politique et littéraire de ce temps. Il excelle à en raconter l’histoire et surtout les histoires. Ernest Daudet, Robert Mitchell, Adrien Marx et vingt autres ont fait partie de ce petit cénacle. On y rencontre encore aujourd’hui : Claveau, portraitiste politique devant lequel tous les hommes connus ont passé ; Ernest Boysse, amateur délicat, poète du dix-huitième siècle égaré dans le nôtre ; Gaston Bergeret, qui publie des nouvelles exquises entre deux volumes sur le mécanisme du budget ; Eugène Bonhoure, journaliste influent quoique anonyme ; Clère, biographe sérieux et consciencieux, un véritable puits de renseignements ; Léon Guillet, passé maître dans l’art des quatrains. Le banc de ces littérateurs fait face à celui des Hérisson et des Tirard**, et n’en est pas autrement écrasé. »
*D’abord un article dans le Figaro du 26 août 1883. **Hérisson et Tirard, eux aussi bien oubliés aujourd’hui, furent députés et ministres.
En 1871-73, le service se compose de : Maurel-Dupeyré, chef ; Claveau et Béhaghel, sous-chefs ; Letellier, Gastineau, Boysse, Bonhoure, Lara-Minot, Bergeret, Aude, et d’un auxiliaire, Pourchel. Tous, à l’exception d’Aude et de Bergeret, exerçaient déjà au Corps législatif, de sorte que nous aurions pu (dû ?) nous abstenir de ménager une coupure…


(Paris, 1840-1921). Son père Guillaume, né à Morlaas (Pyrénées-Atlantiques) en 1799, marchand de laines rue Montmartre, fit faillite alors que Gaston n’avait qu’un an ; sa mère, Julie-Thérèse-Constance Gérard, née au Lamentin (Martinique) en 1815, demanda alors la séparation de biens, mais ce n’était manifestement qu’une précaution financière, puisque le couple donna naissance à une fille en 1846 et vivait toujours ensemble lorsque Guillaume mourut en 1869. L’acte de décès le qualifie d' »employé » – comme d’ailleurs Gaston. Celui-ci resta attaché à ses racines paternelles : il possédait une résidence secondaire à Morlaas (le logis de La Baque) et il a publié en 1909, y ajoutant des notes, une Flore des Basses-Pyrénées, œuvre de son grand-père Jean, né à Pontacq (nous y reviendrons) en 1751, médecin à Morlaas [!] dont il fut aussi le maire, et professeur d’histoire naturelle à l’École centrale de Pau. L’ouvrage, partiellement inédit, avait déjà été augmenté par le frère jumeau de Guillaume, Eugène, également médecin, maire de Morlaas et herborisateur…
Devenu secrétaire-rédacteur en 1870, “après la guerre”, Gaston Bergeret est nommé chef adjoint vers 1890 et succède à Anatole Claveau à la tête du service en 1903. Il prend sa retraite en 1910 et meurt, célibataire, en 1921.
Il est d’abord connu pour avoir publié en 1883, dans la collection “Bibliothèque parlementaire” dirigée par Eugène Pierre, Les ressources fiscales de la France. Il avait auparavant (1880) commis Mécanismes du budget de l’État et Les réformes de la législation : l’impôt sur les patentes. En 1888, il donnera des Principes de politique, essais sur l’objet, la méthode et la forme des divers gouvernements, l’organisation des peuples et les théories de la souveraineté, avec un aperçu des principales questions constitutionnelles. Un juriste et fiscaliste, soucieux de vulgarisation ? Pas seulement !
Certes, il était entré à la Banque de France avec une licence de droit, mais il fut vite saisi par le démon du journalisme.
« C’était en 1866. Je collaborais à L’Écho populaire de Lille, un des premiers journaux à un sou qui aient paru en province. Lille était le foyer d’un mouvement intense de décentralisation littéraire. Géry-Legrand, qui n’est plus aujourd’hui que sénateur et maire de Lille [sic], était alors le chef de ce mouvement, et il avait fondé l’une après l’autre une série de publications périodiques qui disparaissaient successivement sous les coups répétés de l’administration impériale, mais qui avaient fait de lui, tout jeune encore, le coryphée de l’opposition et une sorte de personnage légendaire dans la région du Nord. Nous avons travaillé ensemble à la Revue du mois, qui avait peu d’abonnés, mais tous républicains de choix. Vermorel, tué depuis sur les barricades de la Commune, y écrivit quelquefois ; M. Émile Zola y a donné ses premiers Contes à Ninon (…). Mais au fond, Géry-Legrand et moi, sous des noms divers, fournissions presque toute la copie. Jules Janin s’y était laissé prendre et, dans la bienveillance qu’il apportait à encourager les jeunes, le prince des critiques avait consacré un feuilleton des Débats à faire l’apologie de cette petite phalange d’écrivains dont il s’était plu à esquisser les portraits, d’imagination : Hans Carvel, Faustin, Jonathan Muller et autres, sans se douter que nous étions deux seulement à porter tous ces pseudonymes. Après cette publication mensuelle, nous avions réussi à faire paraître un journal hebdomadaire, Lille-Artiste. C’était un progrès, mais Lille-Artiste n’était encore qu’un journal littéraire. Ce fut un grand jour que celui où nous eûmes enfin un cautionnement et une autorisation pour publier le Progrès du Nord, d’abord hebdomadaire, mais politique. Comme il ne suffisait pas à alimenter notre activité dévorante, le Journal populaire de Lille fut enfin créé, avec le concours de tout ce qu’il y avait de libéral dans le département, pour offrir un écoulement quotidien au débordement de nos idées. »
Bergeret avait certainement connu Géry Legrand à l’École de droit où ce dernier, collaborant à L’Illustration et à L’Artiste, avait formé “autour de lui un petit groupe littéraire plus amoureux des choses de l’art, de théories sociales et d’idées nouvelles que de la science de Maître Barthole”. Rappelé à Lille par la mort de son père, Legrand anima successivement, avec la collaboration de ses amis (dont Bergeret, mais aussi Vermorel et Zola), la Revue du mois (1860-1863), le Journal populaire (quotidien, 1863-1865) renommé l’Écho populaire (1865), puis le Courrier populaire (1866), Le Progrès du Nord (1866- ), Lille-Artiste (1866- ). [Source : Hippolyte Verly, Essai de biographie lilloise contemporaine, 1869]. C’est certainement pour le suivre que Bergeret rejoignit la succursale de Lille de la Banque de France.
Bergeret et Géry Legrand ont aussi publié ensemble deux comédies : Les grâces d’état (1863) et Les Augures (1868). Mais le journalisme, à cette époque, n’allait pas sans périls :
Bergeret eut la malencontreuse idée de soutenir dans L’Écho populaire, qui n’avait pas de cautionnement, la thèse selon laquelle « on peut avoir une morale indépendamment de toute idée religieuse » et que le critère de la moralité n’est pas donné par la conscience, mais tient à l’utilité sociale des actions. Traduit en correctionnelle, il eut une deuxième mauvaise inspiration : il voulut se défendre lui-même et, alors que la condamnation, écrite d’avance, était de huit jours de prison, il réussit à en décrocher quinze, « pour heureux effet de mon éloquence » : « L’organe du ministère public, dans le langage poncif qui est propre à cette institution, avait défendu contre mes attaques la conscience, ce phare qui éclaire les hommes. Or, dans l’article incriminé, parlant des variations de la conscience, je l’avais comparée irrévérencieusement à une girouette. Je ne manquai pas de faire le rapprochement dans ma réplique en assurant que nous étions bien près de nous entendre, M. le substitut du procureur impérial et moi, puisque le phare et la girouette sont deux objets qui tournent et qui se mettent sur les toits. » Dans quelles conditions Bergeret réussit à « s’incarcérer » à Sainte-Pélagie et comment il y passa ces quinze jours, c’est ce qu’il raconte dans la suite de cet article de la Revue bleue, écrit en 1892 au moment où cette prison fut démolie. Il vaut la peine de s’y reporter : le témoignage est à la fois nostalgique et désopilant.
Comment Bergeret se retrouva-t-il ensuite à la Chambre des députés ? Le compte rendu de la « commission d’enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars » nous fournit une piste : il s’y trouve en annexe (t. III, page 425) une lettre du préfet du Nord qui rectifie son précédent rapport, s’agissant des « antécédents de quelques chefs de l’insurrection ». « Bergeret, général et membre de la Commune, n’a été, ni employé à la succursale de la Banque de France à Lille, ni rédacteur du Progrès du Nord. L’ancien employé, l’ancien rédacteur financier du Progrès du Nord est M. Gaston Bergeret, aujourd’hui secrétaire de M. Brame, député du Nord. » Gaston échappait là à une confusion dangereuse… Précisons que Jules Brame (1808-1878), d’une famille de sucriers et très protectionniste, avait été député bonapartiste libéral et ministre de l’Instruction publique sous le Second Empire ; en 1871, il alla d’abord siéger au centre droit, puis dans le groupe de l’Appel au peuple tout en gardant, selon la Biographie des députés de Jules Clère, « un pied dans le camp orléaniste ».
Claveau (Souvenirs…, II, p. 122) mentionne Bergeret comme « le fin romancier des Événements de Pontacq« . En fait, le titre exact de cette nouvelle, publiée en 1883 dans la Revue bleue (pages 162-168 et 197-205) puis, en 1899 dans une édition calligraphiée et illustrée d’aquarelles d’Henriot (fort appréciée des bibliophiles), est : Les événements de Pontax . Nous verrons plus loin ce que dissimule peut-être cette apparente coquille de Claveau, mais nous ne saurions trop encourager le lecteur à déguster cette satire de l’administration dont Alfred Sauvy (Aux sources de l’humour, éd. Odile Jacob, 1988, p. 42) faisait grand cas, s’étonnant que cette nouvelle n’ait jamais été tournée alors que le découpage était tout fait et les gags tout écrits.
Le maire de Pontax reçoit un jour une lettre poliment comminatoire d’un certain « Commandant George », annonçant que son « croiseur cuirassé, armé de douze canons » va bientôt mouiller dans ce petit port et lui demandant de le recevoir dignement, lui et son équipage de soixante hommes. Une seconde missive suit : « J’ai oublié de vous entretenir d’une question qui n’est pas sans importance pour un équipage adulte. Je vous prie de mettre à ma disposition, le soir de mon arrivée, soixante jeunes filles d’une grande beauté. Il est indispensable qu’il y en ait soixante. Pour la beauté, je comprends qu’il faille tenir compte des ressources de la localité : je me contenterai donc de ce que vous aurez, pourvu que ce soit la fleur de votre jeunesse. Afin de ne pas vous créer de difficultés excessives, j’admettrai des assimilations. Seront considérées comme jeunes filles, jusqu’à concurrence de trente, les femmes qui, n’ayant pas accompli au 1er janvier dernier leur vingt et unième année et n’ayant jamais eu d’enfants, réuniront les trois conditions suivantes : la fraîcheur du teint, la pureté des formes et un caractère enjoué… » On croit d’abord à un canular, mais le pirate débarque et met la ville en coupe réglée, au reste de façon aimable. Le pauvre maire, menacé de pendaison puis de fusillade, tente en vain de mobiliser les autorités supérieures, paralysées par le respect des procédures et par une crise gouvernementale. En définitive, cocu mais sauf, il sera seulement autorisé, une fois le pirate reparti, à contracter, en vertu de la loi du 10 vendémiaire an IV, « un emprunt amortissable en quinze ans au moyen d’une surtaxe à l’octroi sur les vins, cidres, poirés et hydromels », afin de solder la dépense.
Bergeret a également écrit : L’album (comédie de salon en un acte, 1873) ; Dans le monde officiel (1883, reprend notamment Les événements de Pontax) ; Le quadrille des lanciers (saynète en 5 figures, 1884) ; La famille Blache (1885, « histoire passablement railleuse des évolutions d’une famille parisienne », selon L’Année littéraire) ; Provinciale et Contes modernes (1887) ; Le cousin Babylas et autres titres, dont KO SO3, roman chimique (1889) ; Nicole à Marie (« roman par lettres pour grandes jeunes filles », dit L’Année littéraire ; 1895) ; La petite Gaule (1896) ; Manuel du réactionnaire (3e édit. s. d.) ; Journal d’un nègre à l’exposition de 1900 (1901 : ses Lettres persanes !) ; L’assassinée (comédie en quatre actes, écrite en collaboration d’après une de ses nouvelles, 1904). Fréquentant le salon de Mme de Beausacq – comme Sully-Prudhomme, Tailhade, Loti, Émile Deschanel, etc., notamment, et Mouton qui l’y introduisit probablement. Il préfaça en 1889 le Livre d’or de la comtesse Diane, recueil de « petits papiers » (jeu de questions-réponse à l’aveugle, sorte d’ancêtre des « cadavres exquis »).
En sus des Événements de Pontax, on retiendra quelques nouvelles. Dans les Contes modernes, Le roi de Carolie (un souverain absolu, s’ennuyant, travaille à se créer une opposition et essaie d’imposer à son pays un grand dessein guerrier ; il ne réussit qu’à soulever son peuple en faveur de la paix et finit par reculer, mais on sent qu’il passera le reste de sa vie à le regretter), et surtout La discussion du budget (Un jeune mari essaie de régler les dépenses de son ménage sur le modèle du budget national) – à compléter.
Bergeret était un ami d’Eugène Mouton, l’auteur de L’invalide à la tête de bois, qui déclara avec lui le décès de Guillaume et qui a brossé de lui ce portrait (Un demi-siècle de vie, Delagrave, 1901) :
« M. Gaston Bergeret, chef-adjoint des secrétaires-rédacteurs de la Chambre des députés, est presque de notre famille : ma mère, créole de la Guadeloupe, était la marraine de la sienne. Depuis sa naissance, nous l’avons suivi et notre mutuelle affection n’a pas cessé de s’accroître. Il est impossible de voir réunis dans une perfection aussi rare l’esprit et le bon sens, et chose non moins rare, loin d’en être troublé, cet assemblage se confirme par un penchant si marqué au paradoxe, que loin d’affaiblir ces qualités, il semble ajouté là pour en faire ressortir la valeur. Ajoutez à cela un caractère d’une bonté et d’un entêtement sans pareils, et une intelligence hors de pair pour le travail et les affaires de la vie courante, et on aura le portrait d’un ami bien précieux. Outre ces rares qualités personnelles, ses fonctions à la Chambre ont fait de lui un des plus friands causeurs qu’on puisse rencontrer dans un salon, puisque voilà tantôt trente ans qu’il écrit phrase à phrase l’histoire politique de la France, à mesure qu’elle se passe sous ses yeux, avec toutes l’exactitude et toute l’impartialité d’un témoin officiel, ce qui suffirait déjà à le rendre intéressant. Mais par un penchant très fréquent d’ailleurs chez les fonctionnaires, à part un traité de politique qui a été accueilli avec joie par le monde parlementaire, c’est au roman, aux nouvelles et à la fantaisie qu’il a voué son esprit et son bon sens, et là il a créé vraiment un genre bien personnel à lui, où tout, même l’invraisemblance, est devenu une originalité inédite d’un très grand effet. Il a publié successivement douze volumes qui tous ont trouvé un grand nombre d’enthousiastes, non seulement lecteurs, mais ce qui est rarissime, éditeurs. »
26. Sextius AUDE
(Aix, 1832 – Paris, 1905) Son père, Antoine, notaire, fut maire d’Aix de 1835 à 1848 et son frère était le « docteur Aude », médecin de marine, puis directeur du muséum de la ville. D’abord employé au secrétariat de l’Institut de France (1861-1871), Sextius devient secrétaire-rédacteur “à la suite d’un concours ouvert en 1870 par le Corps législatif”, mais apparaît surtout dans les mémoires du temps comme le discret secrétaire de Thiers, pour ne pas dire son domestique, chargé de faire les commissions, de surveiller la construction de l’hôtel particulier, d’apporter à la tribune le café préparé par Mme Thiers ou par Mlle Dosne… « Sextius Aude (…) un des secrétaires intimes de M. Thiers, moins haut placé dans son intendance officielle que Barthélémy Saint-Hilaire, mais plus près encore peut-être de son absolue familiarité. (…) M. Thiers protégea, en se l’attachant, le fils de son ancien camarade d’espièglerie. Sans le libérer de sa très étroite sujétion quotidienne, il le fit entrer dans notre service… », écrit Anatole Claveau qui précise : « on l’appelait quelquefois le neveu de la maison. » Le même, toujours à propos des fonds secrets (voir Béhaghel), nous conte le destin ultérieur de ce secrétaire-rédacteur qui ne figure que dans les almanachs de 1871-2 et 1873, sachant que ceux de 1874-75 n’ont pu être consultés.
« Deux ans plus tard, dans les jours qui précédèrent la chute de M. Thiers [mai 1873], j’eus un second renseignement sur la manière dont on utilisait quelquefois cet argent des fonds secrets. Nous avions parmi nous le secrétaire intime, pour mieux dire le factotum du président de la République, Sextius Aude, le dévouement fait homme. Son père avait été le camarade d’études de M. Thiers, et Sextius nous racontait les bonnes farces que les deux jeunes gens faisaient ensemble à la Faculté d’Aix dans les premières années de la Restauration. L’une des plus hardies fut, un beau jour, d’introduire un âne au cours de droit. Le fils, après le père, était resté l’ami, le familier de la maison, et, à ce titre, il rendait quantité de services gratuits, étant l’homme de ces missions et commissions de confiance qu’on n’ose pas rémunérer. Il avait pour M. Thiers et les siens la plus respectueuse affection. Cependant un jour il nous arriva furieux, et me prenant dans un coin : » Vous n’imaginerez jamais, me dit-il, la sottise qu’ils m’ont faite ! »
Et il me raconta que, dans un petit vestibule attenant au cabinet de travail de M. Thiers, il avait rencontré Barthélemy Saint-Hilaire, très affairé, qui écrivait des noms sur des enveloppes. Il y en avait bien là une douzaine. Tout à coup, le traducteur d’Homère lui en remit une en lui disant : » Voici la vôtre ! » Il l’ouvrit, croyant y trouver une invitation quelconque. Elle contenait cinq billets de mille francs qu’il rejeta bien vite sur la table, comme s’ils lui eussent brûlé les mains. Et à Barthélemy Saint-Hilaire qui insistait : » Non, dit-il, vous vous êtes trompés d’adresse ! » Il ne lui pardonna jamais complètement ce qu’il considérait comme une injure.
Sextius Aude, qui avait un beau visage romain comme son nom, était non seulement un des hommes les plus honnêtes que j’aie connus, mais un modèle, un peu arriéré, de délicatesse. On le nomma, bientôt après, entreposeur des tabacs, puis Léon Say en fit un trésorier-payeur général de la Corse. Il mourut, avec le même emploi, à Montauban. C’est ainsi que M. Thiers lui paya, ou plutôt lui fit payer tant de petits services quotidiens. Je lui dus de savoir où passent quelquefois les fonds secrets. »
En avril 1874, Aude, mais surtout, à travers lui, Thiers, fut attaqué par Le Gaulois pour cumuler les emplois de secrétaire-rédacteur et d’entreposeur des tabacs. L’intéressé répliqua qu’il ne cumulait que les emplois, et non les appointements. Le Répertoire des Trésoriers-Payeurs généraux du XIXe siècle, de P. F. Pinaud (L’Érudit, 1983), permet de corriger un peu la carrière : percepteur à Neuilly en 1876, T-P.G. de Corse en 1878, puis d’Aveyron de 1892 à 1898, date de son départ en retraite.

Robert Mitchell
(Bayonne, 1839 – Paris, 1916). Il n’a dû passer que brièvement au banc des comptes rendus, on ne sait à quelle date, à supposer que P. Bosq n’ait pas fait erreur. Mais s’il dit vrai, ce serait l’un des deux seuls secrétaires-rédacteurs (l’autre étant Amédée Le Faure) qui aient suivi la trajectoire inverse de celle de Gleizal, Levasseur et Despallières.
Né d’un père anglais ou irlandais et d’une mère espagnole, il eut pour parrain don Carlos qui, commençant son exil, nomme l’enfant capitaine de son armée en déroute. Robert Mitchell débute dans le journalisme à Paris, en 1856, à la Presse théâtrale. Parti à Londres l’année suivante, il rédige en anglais la partie littéraire du journal The Atlas, dirigé par son père, entre au Constitutionnel en 1860 comme rédacteur politique et, après être passé par Le Pays, Le Nord et L’étendard, y retourne en 1866, en repart, y revient en 1869 comme rédacteur en chef. Il se fait alors le soutien d’Émile Ollivier. En 1870, il défend des positions hostiles à la guerre mais finit par s’engager dans les zouaves de l’armée de Mac-Mahon. Fait prisonnier à Sedan, il est envoyé en Silésie.
À son retour, il fonde Le Courrier français, qui attaque violemment le gouvernement Thiers, puis passe à La Presse, où il soutient le septennat personnel. En 1874, il refuse la direction de l’imprimerie et de la librairie et achète Le Soir, dont il fait un organe bonapartiste. En 1876, il est élu député (bonapartiste) de La Réole et siège dans le groupe de l’Appel au peuple. Candidat officiel, il est réélu en 1878. « Il se fit remarquer à l’Assemblée, peu à son avantage à coup sûr, par ses interruptions bruyantes et répétées et par l’étonnante fantaisie de ses propositions. » Il ne se représenta pas en 1881, échoua aux élections de 1885 et ne revint à la Chambre qu’en 1889, comme boulangiste. Battu en 1893, il se consacra dès lors au journalisme, collaborant au Gaulois où il mena campagne contre la révision du procès Dreyfus et, plus généralement, contre la politique laïque et républicaine.
Il était le beau-frère d’Offenbach et a été proche d’Ernest Daudet.
(Sources : Dictionnaires Vapereau, Bitard ; Dictionnaire des parlementaires d’Aquitaine sous la IIIe Républigue, de S. Guillaume et al., …)
Nous n’avons pu consulter les almanachs de 1874-1875, mais les listes de 1876, 1878 et 1879, identiques à un détail près, font apparaître quatre départs (Letellier, Gastineau, Lara-Minot et Aude) pour deux arrivées seulement : Paulian et Pierre. La seule différence entre elles tient à la présence, en 1878, de Le Faure.

27. Louis PAULIAN
(Nice, 1847- Dieulefit, 1933). Il a pris le relais de Bergeret à la tête du service. Jean Pouillon aimait raconter comment, déguisé en mendiant et de faction à la porte d’un théâtre, Paulian, tendant déjà la main, ouvrit un jour par mégarde la portière du président de la Chambre des députés, qui s’étouffa : « Vous, monsieur le directeur ?! ».
Gendre de Frédéric Passy, il entre en 1871 au secrétariat général de la questure et, entre 1873 et 1876, au compte rendu analytique, dont il prend la direction fin 1910, jusqu’à sa retraite en 1918. Mais il est avant tout connu comme spécialiste des prisons et de la mendicité : cf. Olivier Vernier, Des vagabonds aux SDF, pages 161-171.
Secrétaire du Conseil supérieur des prisons, membre de plusieurs Sociétés savantes et littéraires.
M. Louis Paulian occupe une place spéciale dans le monde de la Philanthropie. C’est avant tout un homme qui aime à connaître à fond les choses dont il parle. Venu à Paris, vers l’âge de vingt ans pour y faire son Droit, il s’est bien vite senti entraîné vers l’étude des questions sociales et de l’économie politique. Après avoir lu un grand nombre d’ouvrages spéciaux sur ces matières, il se dit que le seul moyen de se faire une idée exacte des classes dont il voulait étudier les mœurs, les aspirations et les besoins, c’était de vivre de la vie que menaient les malheureux qu’il voulait connaître. C’est ainsi qu’il s’est fait chiffonnier pour étudier les mœurs des chiffonniers pour lesquels il a toujours eu un faible spécial et dont il a, en toute circonstance, et notamment dans son livre La Hotte du Chiffonnier (1885), défendu et la réputation et les intérêts.
Les prisons n’ont aucun secret pour M. Paulian, qui non seulement connaît la plupart des établissements pénitentiaires de la France, de la Belgique, de la Hollande et de l’Italie, mais qui encore n’a pas hésité à voyager dans le panier à salade et à se faire enfermer en cellule pour se rendre compte de la vie du prisonnier et des améliorations qu’on pouvait apporter à ces différents établissements. C’est lui qui a été Rapporteur, devant le Conseil supérieur, du projet qui a abouti à la démolition de Mazas, de la Roquette et de Sainte-Pélagie et à la construction de la maison pénitentiaire de Fresnes qui est le plus bel établissement de ce genre qui existe en France et qui fait le plus grand honneur à son architecte M. Poussin.
Dans tous les Congrès pénitentiaires, M. Paulian a soutenu quelque question intéressante. En 1890, au Congrès de Saint-Pétersbourg, il proposait l’œuvre de la Bibliothèque pénitentiaire internationale. En 1895, au Congrès de Paris, il fut chargé de la question bien délicate des moyens de prévenir la Prostitution des mineures. En 1898, au Congrès d’Anvers, il présentait et faisait adopter un mémoire sur la question suivante : « Peut-on sans cruauté interdire absolument la mendicité ? » La question de la mendicité est le grand cheval de bataille de M. Paulian. Nul mieux que lui ne connaît les souffrances des vrais pauvres et les fraudes des faux pauvres. Ici encore M. Paulian a eu recours à la méthode expérimentale. L’étude qu’il a publiée dans le journal Le Temps et son livre : Paris qui mendie, ont opéré une véritable révolution dans les façons de faire la charité. Le premier, M. Paulian a eu le courage d’attaquer notre code pénal, si dur et si injuste pour les malheureux, si faible, si impuissant lorsqu’il s’agit de punir de faux malheureux. Il a soutenu le droit pour chaque citoyen de tendre la main et de demander, en cas de besoin, aide et assistance à la société. Mais il a bien établi que, pour faire appel à la charité, il faut être dans le besoin et dans l’impossibilité de gagner son pain. Aussi, comme conséquence de cette théorie. M. Paulian propose-t-il de remplacer autant que possible l’aumône par le travail et de frapper sévèrement le faux pauvre. La campagne qu’il a entreprise et qu’il a énergiquement menée par sa plume et par sa parole a abouti à la création de nombreuses œuvres d’assistance par le travail.
M. Paulian, après avoir, par des expériences curieuses et personnelles, démontré les fraudes considérables qui sont commises journellement par des gens qui n’ont du malheureux que l’apparence, a proposé tout un système de contrôle destiné à empêcher les doubles et les triples emplois en matière de charité. Au Congrès international d’assistance et de bienfaisance qui a été tenu en 1900 à Paris, sous la présidence de M. Casimir-Périer, M. Paulian a exposé son système de Création d’une Caisse centrale et d’un Hôtel central des œuvres d’assistance publiques et privées. Depuis cette époque l’idée a fait son chemin ; l’Assistance publique et les sociétés privées se mettent d’accord pour exercer un contrôle sur leurs actes de charité.
(Dictionnaire biographique international des écrivains, de Henry Carnoy, 1902, dont est tiré le portrait).
Les expéditions de Paulian semblent avoir fourni un marronnier à la presse – en tout cas au Gaulois. Le 14 juin 1891, celui-ci publiait sous la signature « Tout-Paris » (un pseudonyme collectif) un article intitulé « Un faux mendiant » :
« Le faux mendiant, c’est M. Louis Paulian, secrétaire-rédacteur à la Chambre et chevalier de la Légion d’honneur.
La position qu’il occupe est des plus enviées, car, en dehors des séances qui, parfois orageuses, donnent une besogne difficile aux secrétaires-rédacteurs attablés devant la tribune, elle laisse assez de loisirs à ces honorables fonctionnaires pour qu’ils puissent se livrer à d’autres travaux plus littéraires. Les uns collaborent à différents journaux, d’autres font des romans ou des pièces de théâtre ; M. Paulian, qui est un érudit, étudie sur le vif le roman et le théâtre de la mendicité et nous donne les dessous de cette comédie.
M. Paulian est bien de sa personne : une large barbe d’un blond roux encadre sa figure. On se demande comment il a pu se déguiser en misérable, au point de tromper les âmes charitables ; il y a cependant très bien réussi, si bien même qu’une fois il a été arrêté par un agent de police, sous le porche de: Saint-Germain-des-Prés, un dimanche matin qu’il avait déjà, en moins d’un quart d’heure, reçu treize sous.
– Que voulez-vous, lui a dit le sergent de ville, après avoir constaté son identité et ses passeports spéciaux, monsieur marquait trop mal ; il avait l’air d’un bandit.
Ce fait n’est-il pas la meilleure démonstration de la facilité qu’ont les naturels bandits à tromper le public ?
L’Illustration, qui met tant de soin à satisfaire ses lecteurs, nous donnait, hier, le portrait de M. Paulian à son bureau à côté de M. Paulian en joueur d’orgue. Vraiment la transformation est si complète qu’on peut se demander si c’est bien le même homme.
Nous avons rendu visite à M. Paulian, et il nous a raconté lui-même son odyssée.
Bien entendu, pour ses pérégrinations dans la basse pègre, il s’était muni de tous les papiers nécessaires et de tous les passeports en règle délivrés par la préfecture de police.
Il y a douze ans qu’il a commencé ce métier, il l’a continué à intervalles inégaux, traversant ou côtoyant toutes les spécialités de la tartuferie mendicale.
– Montrez-moi un mendiant, dit-il, et je vous dirai à quelle école il appartient… »Et le journaliste d’énumérer : des écoles de chant, l’école des mendiants d’hôpital – qui revendent bas à varices ou linceuls fournis gratis -, ceux qui exhibent des enfants ou une infirmité, ceux qui exploitent un « poste » dans telle rue, ceux qui font le tour des diverses églises ou des œuvres de charité. La conclusion – est-elle bien fidèle à la pensée de Paulian ? – est « tapée » :
M. Paulian ne demande pas la centralisation des œuvres ; mais il est, avec raison, de ceux qui veulent l’aumône par le travail.
C’et ça qui éloigne les faux pauvres.
Le très légitimiste comte Othenin d’Haussonville, neveu du duc de Broglie et autre spécialiste des prisons et de la misère à Paris, accompagnait parfois Paulian dans ses expéditions [Le Gaulois du 10 septembre 1887]. Voici ce qu’il écrit en 1894 dans la Revue des deux mondes, sous le titre « L’assistance par le travail » :
Quelqu’un qu’il faut consulter à ce sujet [l’aumône], c’est M. Paulian, secrétaire rédacteur au Corps législatif, mais aussi à ses heures chiffonnier et mendiant, ce qui doit être parfois plus intéressant. Lorsque M. Paulian préparait son premier volume d’études sociales : la Hotte du chiffonnier, j’ai eu le plaisir de chiffonner en sa compagnie, mais je n’ai jamais mendié, et je le regrette, car il a fait des expériences bien curieuses. Tour à tour cul-de-jatte, aveugle, chanteur ambulant, ouvreur de portières, ouvrier sans travail, professeur sans emploi, paralytique, sourd-muet, etc., M. Paulian est arrivé à se faire des journées d’une quinzaine de francs, et il a démontré en même temps, ce qui était son but, combien il est facile d’exploiter à Paris le bon cœur et la crédulité du public.
À ce point de vue, le livre de M. Paulian fait honneur aux Parisiens, et comme Parisien je suis tenté de lui en savoir gré. Mais, si j’étais mendiant, je lui en voudrais beaucoup, car il fait grand tort à cette corporation. Il dénonce en effet tous les ingénieux procédés, oserai-je dire les trucs des mendiants, pour vivre, sans rien faire, aux dépens du public, soit en demandant purement et simplement l’aumône dans la rue, soit en pratiquant le système plus ingénieux et plus relevé de la mendicité par lettres. (…)
Les prisons d’Italie (1873) ; La poste aux lettres (1881) ; La hotte du chiffonnier (1885, réédité par Hachette, 1890) ; Paris qui mendie, les vrais et les faux pauvres, mal et remède (Ollendorf, 1893 ; couronné par l’Académie, traduit en anglais, en russe, en néerlandais…) ; « La prison de Fresnes-lès-Rungis », in Le Monde moderne, 1900, IX, p. 661-668. Et, en 1902, il publie dans Minerva n° 1 un article d’une vingtaine de pages : La Chambre des Députés, anecdotes et souvenirs d’un secrétaire-rédacteur.
Le service de l’analytique. La manière dont fonctionne l’avancement dans le service du compte rendu analytique de la Chambre des députés offre un salutaire exemple de régularité et de justice. M. A. Claveau, chef adjoint, avait succédé à son chef, Maurel-Dupeyré ; M. Gaston Bergeret avait remplacé, d’une façon aussi normale, M. Claveau. M. Paulian remplace à son tour M. Bergeret.
À la place de M. Paulian est nommé chef adjoint M. Léon Guillet (…)
Nulle dérogation, comme on le voit, aux droits acquis, nulle faveur. La Chambre, qui réclame si souvent contre l’arbitraire de certaines nominations, constate certainement avec plaisir que, depuis quarante ans, ses présidents et son bureau ont suivi cette bonne règle. Ce n’est pas l’éminent secrétaire général de la Présidence de la Chambre des députés, M. Eugène Pierre, qui les en eût dissuadés. Elle a donné de trop excellents résultats. (Le Figaro du 30 novembre 1910).
28. Eugène PIERRE
« Fut élevé, en 1884, aux fonctions importantes de secrétaire général de la présidence de la Chambre des députés. Sa connaissance parfaite de la jurisprudence parlementaire, branche du droit constitutionnel qui, avant lui, était à peu près ignorée en France, et qu’il a vulgarisée en des ouvrages très clairs, quoique fortement documentés, ses qualités de tact, son infatigable activité, lui ont valu, dans les milieux politiques, une influence et une autorité considérables. » (Une encyclopédie)

(Paris, 1848-1925). Né « dans une maison voisine du Palais-Bourbon, où il devait passer toute sa vie. Fils d’un fonctionnaire de l’Assemblée nationale, il fit de fortes études [au lycée Saint-Louis]. Il se destinait à l’École normale, mais la mort de son père l’obligea à abandonner ses projets. Il étudia le droit, entra, comme attaché, à la présidence de la Chambre, passa avec succès le concours des secrétaires-rédacteurs… » (Grande Encyclopédie). Selon Vapereau, il aurait été attaché à la présidence du Corps législatif en 1866 (à 18 ans ?). Ce qui est plus certain, c’est qu’il devint secrétaire-rédacteur en 1875 ; chargé du service des travaux législatifs en 1879 ; secrétaire général en 1885 – jusqu’à sa mort en 1925.
Il « a collaboré aux principales publications de droit constitutionnel ou parlementaire de M. Jules Poudra, son prédécesseur au secrétariat général de la présidence de la Chambre, mort en 1884, notamment aux suivantes :
Traité pratique de droit parlementaire ([1ère édition en 1875, 2e en] 1879 ; supplément, 1880) ;
Organisation des pouvoirs publics, recueil des lois constitutionnelles, électorales, etc. (1881 ; nouvelle édition en 1889) ;
Code-manuel du conseiller général d’arrondissement (1880).
Il a publié seul :
Histoire des assemblées politiques en France, depuis le 5 mai 1789 (1877, t. I)
Lois organiques concernant l’élection des députés, la liberté de la presse et le droit de réunion, avec notes (1885)
De la procédure parlementaire, étude sur le mécanisme intérieur du pouvoir législatif (1887)
Traité de droit politique, électoral et parlementaire (1893). »
À cette liste dressée par Vapereau en 1895, on peut ajouter : Les nouveaux conseils de l’enseignement (1880), Du pouvoir législatif en cas de guerre (1890), Les nouveaux tarifs de douane et La réforme des frais de justice (1892), Organisation des pouvoirs publics : politique et gouvernement (1897), etc. L’œuvre de Pierre la plus connue étant bien évidemment le Traité de droit politique, électoral et parlementaire « qui fut édité de nombreuses fois à partir de 1894 et qui exigea rapidement la publication d’un supplément (il y eut six rééditions du Traité et cinq de son Supplément, les dernières datant de 1924 et 1925) », précise Pierre Favre [in « La constitution d’une science du politique », Revue française de science politique, vol. 33, 1983, pp. 214-215].
M. Eugène Pierre, secrétaire général de la Chambre, a succombé, hier matin, vers 10 heures, des suites d’une crise d’urémie. Le défunt, qui était veuf depuis vingt-cinq ans, et n’avait pas d’enfant, ne laisse aucune parenté immédiate. (…) Les obsèques auront lieu après-demain vendredi à l’église Sainte-Clotilde.
M. Eugène Pierre est décédé dans son appartement privé du Palais-Bourbon, son corps sera transporté dans le cabinet de travail du secrétariat de la Chambre, qui sera transformé en chapelle ardente.
La désignation du successeur de M. Eugène Pierre n’aura lieu officiellement qu’après les obsèques mais d’ores et déjà le choix du bureau de la Chambre s’est porté sur M. Carrier, chef des secrétaires-rédacteurs. Cette nomination était, dès hier, très favorablement accueillie dans les milieux parlementaires.
« M. Eugène Pierre, secrétaire général de la présidence de la Chambre, expira hier matin.
Rappeler les mérites si rares d’un tel fonctionnaire serait encore trop peu. Il faudra, quelque jour, mesurer l’importance de sa personnalité à l’influence qu’elle exerça sur le parlementarisme français. Dès à présent, la mort de ce gardien des usages et interprète des textes législatifs est une petite révolution.
Quand il passait courbé, vêtu de noir, le front lourd, la serviette au côté, suivant le Président ou le vice-président de service, entre les gardes qui faisaient la haie, dans le bruit des tambours, on imaginait tantôt la Sagesse surveillant l’Imprudence et tantôt le Châtiment attaché aux pas de l’Ambition. C’était une grande leçon de morale que recevaient ainsi, par hasard, les visiteurs de la Salle des Pas-Perdus, attachés, sous-préfets, journalistes, électeurs. En séance, là-haut, derrière le fauteuil présidentiel, il semblait ne rien voir ni entendre mais, dès qu’un tumulte éclatait, sa silhouette apparaissait, debout, sur le bord du gouffre, auprès de son chef, comme une victime et une menace. Aussitôt, le Président devenait méchant ou cherchait son chapeau.
Le « coup du chapeau », merveille réglementaire qui suspend le pouvoir législatif par la magie d’un geste discourtois, M. Pierre regretta peut-être toute sa vie de ne pas l’avoir inventé.
Il incarnait la seule puissance qui demeure respectée des foules : le Règlement.
En démocratie, l’autorité c’est le Règlement, et la liberté c’est encore le Règlement. Ainsi M. Pierre passa pour un excellent homme, pour un tyran et pour un ferme républicain, parce qu’il était le Règlement, l’origine, la fin et la justification de tout, même du temps perdu.
Ayant renversé le pouvoir personnel, nous vivons sous le règne du texte. Mais la Loi n’est rien à côté du Règlement. M. Pierre le constata pendant cinquante ans, puisqu’un simple paragraphe de « son » règlement lui permettait d’accomplir des choses incroyables : fermer la bouche aux législateurs ou les mettre à la porte. On comprend cette sorte d’ivresse close qui le garda de toute autre ambition et le soutint jusqu’à l’extrême vieillesse dans une atmosphère peu recommandable.
Si la loi n’existe que par le règlement, le règlement n’agit que par l’interprétation qu’on en donne et l’application qu’on en fait. Maître d’une liturgie complexe dont personne n’eût osé contester le principe M. Pierre pouvait contempler avec dédain l’agitation des législatures éphémères.
Sa méthode et sa minutie étaient capables, à force de prévision, d’emprisonner jusqu’à l’avenir. Mais sa faiblesse, bien excusable, fut de ne pas sentir que tout vieillit, même les « cas à prévoir ». Il laissa le Parlement s’empêtrer dans des rites désuets, que devaient fatalement déborder l’anarchie des esprits et la nouveauté des problèmes.
Lucien Romier, Figaro du 8 juillet 1925
« Pour des raisons mal définies, Eugène Pierre passe encore, dans le monde parlementaire, pour une espèce de génie irremplaçable. En réalité, c’est Eugène Pierre – et la postérité ratifiera la véracité de cette constatation dénuée de toute malveillance (amicus Plato, sed magis… etc.) – qui est l’une des causes, sinon l’unique cause, de la désaffection dont se plaint le parlement. C’est à lui que nous devons ce règlement désuet, ces mille chausse-trapes, complications, dédales, pièges, lacets dans lesquels, encore aujourd’hui, s’empêtrent nos malheureux législateurs. C’est à lui que nous devons cette espèce de monstre barbare et protéiforme qui s’appelle le « précédent ». Eugène Pierre avait passé son existence à perpétrer un énorme bouquin en six ou sept volumes, tous in octavo, qui ne prétendait à rien moins qu’à codifier toute la matière législative et qu’il avait, à cette fin, modestement intitulé Traité de droit politique et parlementaire. Dans cette indigeste compilation, qu’il polissait et repolissait chaque année, il était parvenu à réaliser cette formidable gageure de « codifier le précédent ».
Eugène Pierre n’avait-il pas aussi, un beau jour, imaginé le « procès-verbal inaltérable » ? Ne s’était-il pas avisé de faire recopier ce compte rendu à la main, par un calligraphe, sur un parchemin tellement parcheminé qu’aucune morsure du temps ne pût avoir d’action sur lui ? Seulement, comme l’encre prend difficilement sur un support de ce genre, il fallait au copiste un mois environ pour reproduire en ronde et en bâtarde une séance de sept ou huit pages à l’Officiel, ce qui est un minimum. De sorte qu’au moment où Eugène Pierre mourut, le travail n’en était encore qu’aux derniers jours du corps législatif. Un statisticien avait, calculé que de ce train il faudrait trois siècles au calligraphe, et encore sans manger, boire ni dormir, pour arriver jusqu’à 1900. Ai-je besoin d’ajouter que la jeune présidence d’aujourd’hui a, là aussi, fait passer un souffle purificateur et que le « procès-verbal inaltérable » a disparu ? On se contente de faire réimprimer la composition de l’Officiel sur un alfa suffisamment résistant pour que l’on soit sûr qu’il bravera les injures de la postérité la plus reculée. »
Le Quatrième Questeur, L’Illustration, juin 1932.
29. Amédée LE FAURE
(Paris, 1838-1881) est le seul secrétaire-rédacteur qui soit de façon certaine passé ensuite de l’autre côté de la barrière. Il suivit la guerre de 1870-71 comme journaliste pour La France, ce dont il tira une Histoire de la guerre franco-allemande en quatre volumes, avec portraits, cartes, etc. (1878). Secrétaire-rédacteur en 1876, il fut élu député de la Creuse (Aubusson) en 1879 et réélu en 1881. « Il siégeait à l’Union républicaine et s’était fait une spécialité des questions militaires« .
Il a dirigé la publication d’un Dictionnaire militaire et écrit : Aux avant-postes ; Atlas de la guerre de 1870-71 ; Procès du maréchal Bazaine ; Les lois militaires de la France, commentées et annotées ; La guerre d’Orient, 1876-77…
Mort de la fièvre typhoïde au retour d’une mission d’enquête en Tunisie, alors qu’on le voyait bientôt ministre de la guerre.
30. Léon GUILLET
(Nantes, 1846 – 1918). Fils de confiseur, il collabore au Rappel en 1869-70 (il est brièvement arrêté en février 1870 alors qu’il enquêtait sur l’arrestation de Raoul Rigault et autres), à la Presse libre de Malespine en 1869 (auteur de chroniques rimées, il est qualifié de « Gouzien » de ce journal par L’Avant-Garde ; La Presse libre devient La Réforme en mai 1869, sous Vermorel ?) ; il fera de même au Charivari en 1870-1873. C’est un poète « passé maître dans l’art des quatrains » (Paul Bosq, voir supra). Cité dans la Bretagne artistique et littéraire en 1885, 1886, 1905. On s’abstiendra cependant de reproduire son Effet de neige, paru en 1888 dans la Revue illustrée de Bretagne et d’Anjou. En 1923, ses œuvres poétiques posthumes sont publiées sous le titre Les deux sources. En 1869, il aurait travaillé avec Edmond Bazire à une comédie en trois actes, Un homme, pour le Vaudeville et aurait eu dans ses cartons une courte pièce du même genre, Heureux en amour. En mai 1871, démissionne du Gaulois comme Francisque Sarcey. Au XIXe siècle de Gustave Chadeuil, journal orléaniste soutenant Thiers, en 1871-1872, il tient apparemment la chronique parlementaire. À L’Événement d’Edmond Magnier en 1872 (avec Halévy, Alphonse Daudet, etc.), il donne des « carnets parisiens » en collaboration avec Robert Delizy. Rédacteur du Courrier de France de Guyot-Montpayroux 1874-77, puis de Robert Michell (secrétaire de la rédaction de ce journal de centre-gauche en 1875, lorsqu’il épouse Méloé Lafon). Plus tard, vers 1908-1910, il semble avoir été aussi chroniqueur hippique au Temps – mais, en 1899, Adolphe Brisson (Portraits intimes IV, p. 257) le décrivait déjà comme un “sportsman” (voir Le Radical du 30 novembre 1910). En 1910, le Figaro en parle comme « ayant autrefois rendu compte des séances [de la Chambre] dans un journal de Paris » et « actuellement » doyen des journalistes parlementaires et latiniste distingué. En 1918, le même journal indique qu’il aurait débuté dans le journalisme « il y a près de cinquante ans » et poursuivi cette carrière tout en travaillant à la Chambre. Auteur d’un portrait de Rouher dans le Plutarque populaire (1869).
En 1873, était devenu secrétaire du député centre gauche de l’Orne Jules Gévelot (également maire de Conflans et fabricant de cartouches) et le restera pendant plus de trente ans. Ex-rédacteur de La Presse, journal de Girardin, où il est signalé en 1878. Nommé en mai 1879 pour remplacer Le Faure, élu député de la Creuse; devient directeur adjoint en 1910, puis, selon la nécrologie du Figaro, « peu avant sa mort [survenue en février 1918], chef de ce personnel d’élite » – il aurait donc succédé très brièvement à Paulian, à 71 ans !
En février 1880, le Bureau de la Chambre « a nommé secrétaire-rédacteur M. Bourdon, ancien procureur de la République à Lille, et a désigné M. Jules Clère pour remplir la première vacance qui se produira dans ce service. » Le troisième au concours étant Jules Dalsème, « rédacteur du Petit Journal ».
31. Georges BOURDON(-VIANE)
(Boulogne-sur-Mer, 1838 – Paris, 1905) Entré en 1880, a disparu en 1900. Procureur impérial à Saint-Omer en 1870, il fut nommé à Lille après le Quatre-Septembre… et révoqué en mars 1871 par M. Dufaure et dut subir diverses tracasseries – il est vrai qu’il appartenait, comme Géry Legrand et Bergeret, au groupe du Progrès du Nord. Bourdon se fit alors inscrire au tableau des avocats. Docteur en droit, « professeur libre », auteur d’un Manuel élémentaire de droit international privé (1883) et de divers autres manuels de droit. C’est lui qui a préparé Mlle Bilcesco, une Roumaine, au doctorat en droit, qu’elle fut la première femme à obtenir en France (1890) mais il a aussi été condamné en 1893 pour avoir reproduit et publié sous son nom des cours d’Adhémar Esmein. A tenu la chronique parlementaire au Temps. A également collaboré au Figaro, où un de ses articles lui valut en 1901 d’être boxé par Francis de Croisset. Mort à 67 ans d’une attaque de goutte.
32. Jules CLÈRE
(Paris, 1850-1934), publiciste. Après le lycée Henri-IV et des études de droit, débuta au Courrier de Paris par des articles de critique littéraire sous le nom de Jules Rècle. Il appartint successivement à La Réforme, au Courrier français de Vermorel, à la Revue de la Décentralisation, etc. avant d’entrer en 1871 au National dont il fut pendant des années le collaborateur quotidien. A écrit Les hommes de la Commune, biographie complète de tous ses membres (Dentu, 1871) ; Histoire du suffrage universel (1873) ; Étude historique sur l’arbitrage international (1874) ; Le Congrès de Bruxelles (1874) ; Biographie des députés (1875 ; 1877) ; Biographie complète des sénateurs (1876) ; Les tarifs des douanes, tableaux comparatifs (1880). Avant de devenir secrétaire-rédacteur en 1880, il a été secrétaire des commissions parlementaires des traités de commerce et du tarif général des douanes, et secrétaire adjoint de l’Institut de droit international aux sessions de Paris et de Bruxelles (1878 et 1879). Hors cadres en 1902, secrétaire-rédacteur honoraire en 1911, il a vraisemblablement pris sa retraite en 1910, à soixante ans. Considéré comme spécialiste de questions de droit international et d’économie politique, il a été ensuite vice-président de la Société des gens de lettres et membre très actif de son comité pendant dix-huit ans, se faisant le défenseur du domaine public payant.
33. Jules Phinéas DALSÈME
(Nice, 1845 – Paris, 1904), étudia les mathématiques. Polytechnique (1865), puis École d’application de Metz. Donne sa démission de sous-lieutenant en 1869 pour enseigner les mathématiques à l’école normale d’instituteurs de la Seine. Écrit plusieurs ouvrages en collaboration avec son frère aîné Achille : Les mystères de l’Internationale, son origine, ses buts, ses chefs (1871) ; Paris pendant le siège et la Commune (1871) ; Histoire des conspirations sous la Commune (1872) – tous deux appartiennent à la rédaction du Petit Journal. Seul, il publie plusieurs ouvrages élémentaires sur la géométrie, l’algèbre et la tachymétrie (géométrie intuitive !). En 1882, donne La monnaie, histoire de l’or, de l’argent et du papier ; en 1883, L’art de la guerre, simples notions et Le Baillon. Entre au CRA en 1885. A tenu pendant vingt ans la chronique parlementaire du Petit Journal, utilisant parfois le pseudonyme collectif des rédacteurs, Thomas Grimm.
(Source : Vapereau, 1893 ; Polybiblion, 1904).
34. Jean-Baptiste MISPOULET
(Montpezat, 1849 – Paris, 1917), docteur en droit, avocat à la cour d’appel de Paris, chargé de cours à la faculté des lettres de Paris. Le régime des mines à l’époque romaine, Le mariage des soldats romains, Les institutions politiques des Romains (2 vol., 1883), La vie parlementaire à Rome sous la République, essai de reconstitution des séances historiques du sénat romain (1899).
« Doyen des secrétaires-rédacteurs de la Chambre des Députés, J.-B. Mispoulet est mort à Paris au mois de mai 1917. Élève de Léon Renier au Collège de France et d’E. Desjardins à l’École des Hautes-Études (1876-1878), il avait préparé, avec R. de la Blanchère et l’abbé Thèdenat, un Manuel d’Épigraphie romaine, d’après les cours de Léon Renier et de Desjardins. M. Châtelain veut bien m’apprendre que dans ce Manuel, resté inédit, le chapitre IV : “Pouvoirs de l’Empereur, carrières sénatoriale et équestre”, était l’œuvre propre de Mispoulet. En 1882-3, Mispoulet publia en deux volumes Les Institutions politiques des Romains, ouvrage très sérieux, fondé en partie sur des recherches personnelles et qui a rendu de très bons services ; il est depuis longtemps épuisé. Jusqu’à la fin de sa vie, Mispoulet ne cessa pas d’écrire des mémoires sur l’épigraphie et les antiquités romaines; il était particulièrement compétent sur l’archéologie militaire (voir la Revue de Philologie, les Comptes rendus de l’Académie des inscriptions, etc.). Modeste autant que laborieux, il ne rechercha ni distinctions, ni places. De 1883 à 1889, il fit, à la Sorbonne, un cours libre sur les institutions romaines ; de 1904 à 1908, il donna à l’École des Hautes-Études une conférence supplémentaire (et gratuite) sur les institutions et l’épigraphie du IVe siècle. Parmi ses auditeurs, pour la plupart des étudiants en droit, figura un jeune homme dont les études romaines attendent beaucoup, M. Piganiol.
Mispoulet qui manquait de qualités brillantes, joignait à une science solide beaucoup de bonté. Personne n’a fait appel en vain à son érudition et à sa complaisance ; sa mort a contristé de nombreux amis qui, presque tous, étaient devenus ses obligés. » (S. R., Revue archéologique, 1917, p. 353)
La Société archéologique du Tarn-et-Garonne publia la nécrologie suivante :
« M. le chanoine Galabert a adressé la note suivante sur la vie et les travaux de ce savant aussi modeste que laborieux : “Né à Montpezat le 15 avril 1849 ; après avoir fait ses études aux lycées de Montauban et de Cahors, il se rendit à Paris à dix-sept ans, et par ses travaux il put venir en aide à ses parents que le phylloxéra avait ruinés. Il s’engagea à l’armée de l’Est et y mérita la médaille militaire dont il était justement fier. Ayant conquis le doctorat en droit, le diplôme de l’École des Hautes-Études, il écrivit divers ouvrages et plusieurs mémoires qui lui valurent une grande notoriété dans le monde savant. En 1885 et les deux années suivantes, il fit à la Sorbonne un cours libre sur l’histoire et l’épigraphie romaines; il en fit un autre vers 1902.
Entré le 15 janvier 1885 à la Chambre des députés comme secrétaire-rédacteur, il remplit cette fonction pendant trente-deux ans, jusqu’à sa mort. À ce travail considérable et déjà absorbant il joignit le secrétariat de la Commission des chemins de fer, celui de la Commission d’enquête sur le canal de Panama. Pendant les quinze dernières années il rédigea pour le Journal Officiel les comptes rendus des Académies des Inscriptions et Belles-Lettres, des Sciences morales et politiques, ceux de l’Académie française et de l’Académie des Beaux-Arts. Au milieu de ces travaux absorbants il trouva le temps d’écrire, en 1882, Institutions politiques des Romains, qui lui valut le prix Kenigsmarter ; Manuel de droit romain, d’après Pellat, ouvrage très remarqué ; en avril 1899 il présenta à l’Académie française La vie parlementaire à Rome. Cet ouvrage, qui lui valut le prix Bordin, devait être complété par un volume intitulé Le IVe siècle, qui a été interrompu par la mort.
Ces travaux ne l’empêchèrent point d’écrire divers mémoires sur le mariage des soldats romains, sur les spurii, etc.; l’un d’eux fut récompensé par le prix du Budget. Il fit encore diverses communications, notamment sur l’Inscription de la plaque de bronze de Narbonne (maintenant transportée au Louvre) ; sur les Mines d’Alpustrel en Portugal ; sur un Diplôme de soldat romain ; sur une plaque de bois trouvée à Alexandrie, donnant congé à un légionnaire ; sur une pièce de monnaie absolument unique.
Un labeur incessant avait ébranlé la santé jadis brillante de M. Mispoulet ; sans autre avertissement préalable la mort est venue le surprendre à Paris le 15 mai dernier.” »
35. Paul SOUBEIRAN
(Avignon, 1843 – Paris, 1904) journaliste républicain (et libre-penseur). En 1869, entre à La Marseillaise de Rochefort. Après la guerre, travaille successivement au Radical, au Rappel, au Mot d’ordre, au Républicain, au Bien public, aux Droits de l’Homme… Il collabore à L’Homme libre de Louis Blanc (1876-77) mais, proche également de Gambetta, il écrit dans la République française (fondée en 1871), ainsi qu’au Paris, né en 1881 d’une scission de La France, après la mort de Girardin. Entré au Comité central républicain en 1877, il est secrétaire de plusieurs commissions d’enquête et devient secrétaire-rédacteur en février 1885. Décoré de la Légion d’honneur en 1887, pour “18 ans de services dans la presse” et “belle conduite pendant la guerre de 1870-71, 1 blessure. Titres exceptionnels.” Il restera au compte rendu jusqu’à son décès.
36. Émile DERAINE
(Paris, 1848-1920), fils d’un libraire de la rue de Rivoli. Est surtout spécialiste de l’histoire de Château-Thierry et donc de la biographie de La Fontaine et de son ménage : Au pays de Jean de La Fontaine (2 vol., 1909 et 1912). Vice-président très actif, quoique souvent retenu à Paris, de la société d’histoire locale, qu’il inonde de communications à partir de 1905.
Son dossier de la Légion d’honneur donne l’état de ses services : “1885 : secrétaire adjoint des commissions de la Chambre des députés ; secrétaire-rédacteur stagiaire. 1890 : secrétaire-rédacteur ; secrétaire adjoint de la commission de l’armée. Délégué cantonal de la ville de Paris depuis 1877.
Services militaires : campagne de 1870 dans la mobile. [De 1876 à 1901], sous-lieutenant de réserve d’artillerie, puis de l’armée territoriale ; puis lieutenant et capitaine. 1892 : secrétaire général de la société de tir à canon de Paris (École d’instruction annexe du gouvernement militaire de Paris).”
37. Alphonse PAGÈS (CANON, dit)
Signalé au CRA en 1891 (à la place de Barbier et Merlin), mais non en 1889. Aurait donc appartenu au service entre 1890 et 1894.
(Paris, 1836-1894). Après le collège Sainte-Barbe, commença des études d’ingénieur (École des Mines) qu’il abandonna pour le journalisme et la littérature. Il débuta au Causeur de Louis Jourdan [il y publie en 1860 un poème intitulé Le Progrès] et au Soleil de Jules Noriac ; collabora successivement à l’Avenir national (Desonnax), à L’Homme libre (Louis Blanc), aux Nouvelles de Paris, au Globe, etc., et enfin au National où il rédigea, à partir de 1878, la chronique judiciaire.
Gendre du directeur de l’Odéon Charles La Rounat, il est auteur de pièces de théâtre (Molière à Pézenas, comédie en un acte et en vers, Odéon, 1867 ; La citerne des Feuillants, drame en cinq actes joué en 1868 au théâtre Beaumarchais ; La dernière leçon (1868, avec son frère Abel qui signe Henri Hazart) ; L’honneur du nom, drame en deux époques et dix tableaux, d’après Monsieur Lecoq et en collaboration avec Gaboriau, 1869 ; Colombine, avocat pour et contre, comédie en un acte, en vers), et de traductions de Poe (Le Scarabée d’or), de Kotzebue (Misanthropie et Repentir, 1858 ?, joué en 1863 à l’Odéon) et du Norvégien Björnson (Synnövé Solbakken, 1868, avec F. Baetzmann). Vice-président de l’Association littéraire internationale.
Promoteur de l’enseignement populaire, il participe à l’entreprise de l’École du peuple (1860 à 1863) : on le décrit comme le « grand vicaire » du directeur, l’ouvrier tapissier Théodore Six. En 1868, fonde l’Écho de la Sorbonne, « moniteur de l’enseignement secondaire des jeunes filles », qu’il dirige pendant six ans, avec la librairie du même nom, en association avec sa mère (?), Mme Vve Boulanger. Donne des conférences, publie de nombreux livres dont : un Amadis de Gaule (Bibliothèque de Don Quichotte, 1868) ; un Balzac moraliste (1866) ; une anthologie des Grands poètes français (1873, rééd. 1882) ; Questions d’enseignement. Les écoles d’apprentis (1879).
Pendant le Siège, a fondé et animé presque à lui seul un quotidien à cinq centimes, La Populace, devenu La France nouvelle, « dont le titre a été repris depuis par le parti clérical ».
Le dictionnaire de Jules Lermina (1885) conclut ainsi sa notice : « Tout en étant revenu, par [s]es dernières productions, à la littérature d’imagination, que sa campagne en faveur de l’instruction laïque des jeunes filles lui avait fait abandonner depuis 1870, Alphonse Pagès ne délaisse pas la critique et l’histoire littéraires. Il écrit une grande Histoire illustrée de la littérature française sur un plan tout à fait nouveau et a réuni, en vue de cet ouvrage, une collection iconographique déjà considérable. »
De cette littérature populaire relevait peut-être déjà un Spartacus pour lequel Saint-Saëns écrivit une ouverture (1862). Mais les années 1880 semblent être pour Pagès celles du seul roman-feuilleton, avec des titres comme Grondache et Cie – articles de piété (1886) ; Le mystère de Mantes (1887) et Les victoires de l’amour (1888) – ces deux derniers avec son frère Abel-Henry Hazart – ; L’homme aux 600 000 fr. (1889)…
Meurt en décembre 1894, à 58 ans, d’une embolie.
38. Hippolyte LEMAIRE
(Metz, 1849 – Paris, 1908) : « jeune professeur [de mathématiques, semble-t-il, et d’abord en province], très populaire au Quartier latin et très lié avec toute la colonie artistique de la rue Notre-Dame des Champs », écrit le Figaro en 1882 ; « gendre de feu M. de Bouteiller, dernier député de Metz au Corps législatif ». Commence par écrire des nouvelles avant de se consacrer au théâtre. Avec Philippe de Rouvre, qui est déjà secrétaire-rédacteur au Sénat, il donne à l’Odéon, en 1882, une pièce en quatre actes, Le mariage d’André (mariage qui se serait révélé incestueux si la belle-mère n’avait, elle aussi, été infidèle ; la critique mit cette intrigue turpide sur le compte de la jeunesse). En 1888, succède à Monselet comme critique dramatique au Monde illustré. Devient secrétaire-rédacteur vers 1895. Lecteur-examinateur à la Comédie française à partir de 1904, il collabore néanmoins aux Archives parlementaires. Meurt à 59 ans d’une crise de diabète, l’année où paraît L’eau qui dort.
39. Gaston BARBIER
(1866, La Ferté-Gaucher – 1921, Rumigny, Ardennes). Entre avec une licence en droit, comme commis, au secrétariat général de la questure en 1887. Secrétaire-rédacteur en 1895, il dirige le service à partir de 1919. “Collaborateur assidu du Parlement et l’Opinion¸ secrétaire adjoint de plusieurs commissions de la Chambre des députés (du travail et de l’assistance et de la prévoyance sociales, sujets sur lesquels il écrit dans la revue Le Parlement et l’opinion). Officier de la légion d’honneur en 1919 au titre du ministère du travail”. A travaillé avec Louis Claveau aux Archives parlementaires (période de la Révolution).
40. Paul MERLIN
(Paris, 1861 – Neuilly, 1931) était fils et frère de gouverneurs des colonies. Avocat à la cour d’appel. Secrétaire-rédacteur adjoint en 1895 comme Gaston Barbier (donc vraisemblablement admis avec lui au concours de 1894). Deviendra chef adjoint jusqu’à sa retraite, en 1921. Lorsqu’il meurt à 70 ans, d’une mauvaise grippe, il n’était que rédacteur politique au Temps. « Dans le monde parlementaire, on appréciait hautement sa compétence, la sûreté de ses jugements et sa courtoisie confraternelle » (Le Figaro). Ses collègues semblent avoir eu un autre avis : il est resté célèbre dans le service pour ses absences à répétition et Paulian, excédé, avait constitué un dossier de ses mots d’excuse, probablement avec l’idée de sévir. Mais peut-être était-il vraiment de santé fragile…
41. Louis CLAVEAU
(Paris, 1858-1933), fils d’Anatole, se déclare « homme de lettres ». Commis au bureau de l’expédition des lois et des procès-verbaux à partir de 1884, il devient secrétaire-rédacteur en février 1900. Collaborateur, puis un des « continuateurs » de Mavidal et Laurent (à partir du tome LXXII) pour la publication des Archives parlementaires. Secrétaire de la Société des études robespierristes. Part en retraite en 1918 ou 1919.
42. Paul CARRIER
(Sedan, 1874 – Paris, 1948). Après Louis-le-Grand, licence de lettres et de langues vivantes à la Sorbonne. Passe le concours de secrétaire-rédacteur en 1902 tout en préparant l’agrégation d’allemand qu’il obtiendra ensuite (Il sera d’ailleurs envoyé en 1927 étudier l’organisation des parlements de Berlin, de Prague et de Vienne). Secrétaire administratif de la commission de l’armée, il assiste Maurice Berteaux dans l’élaboration de la « loi des deux ans » (1905).
Succède en 1921 à Gaston Barbier, à la tête du CRA, et en 1925 à Eugène Pierre, comme secrétaire général (de la présidence jusqu’en 1931, de la Chambre de 1931 à 1943).
André MESUREUR (1877-1964) a brièvement émargé à partir de mars 1903 – peut-être n’est-il pas allé au-delà de la période d’essai. C’était le fils de Gustave, premier président du parti radical socialiste… et vice-président de la Chambre jusqu’en 1902. André suivit son père à l’Assistance publique quand celui-ci en fut nommé directeur général, et fit là toute sa carrière, terminant comme receveur de l’AP.
43. Georges ROUSSEAU-DECELLE
(La Roche-sur-Yon, 1878 – Préfailles, 1965). Après le lycée Henri-IV, fait son droit et Sciences-Po. Docteur en droit. Devient secrétaire-rédacteur en 1903 et chef du service en 1925, jusqu’en 1943. « Dans les années 40, fut même inspecteur des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Après la guerre, il reprit du service et créa le service du compte rendu analytique de la nouvelle Assemblée de l’Union française qui siégeait au château de Versailles. Il travailla également pour le Conseil économique ».
Ces renseignements sont tirés d’un site familial, qui met surtout l’accent sur sa collection de papillons. A donné quelques articles à la Revue d’ornithologie. Vice-président de la Société nationale d’acclimatation. Son frère René, peintre, est connu pour quelques toiles comme Jaurès à la tribune (Séance à la Chambre des députés)…
44. Henry DALSÈME
(Paris, 1875 – Château de Bellefontaine, Seine-et-Marne, 1964) Fils de Jules. Licencié ès sciences, il enseigne de 1901 à 1904 dans l’enseignement primaire supérieur. Est également journaliste rédacteur à La Petite République. Devenu secrétaire-rédacteur en 1904, il assure en outre, comme ses collègues, le secrétariat d’une commission − en l’espèce celle de l’administration générale. Chef adjoint en 1925, il prendra sa retraite en janvier 1941 sans avoir accédé à la direction du CRA « à cause d’un autre fonctionnaire de quelques mois plus jeune ».
Après la guerre, il reprend du service comme chef du secrétariat de la commission de la Constitution, puis, de 1947 à 1951 (il a alors 76 ans !), comme chef adjoint du compte rendu analytique sommaire de l’Assemblée de l’Union française.
Amputé de l’avant-bras gauche en 1909, il avait néanmoins tenu à s’engager en 1914 : il fit la guerre aux « étapes » jusqu’en 1917.
Conseiller municipal sans discontinuer de 1912 à 1940, il fut maire de Meudon de 1912 à 1922, de 1925 à 1929, puis de 1936 à octobre 1940.
45. René MILLAUD
(Paris, 1875-1960). Issu du remariage de la chanteuse Anna Judic avec Albert Millaud, ancien chroniqueur parlementaire du Figaro et librettiste d’Hervé (Mam’zlle Nitouche), d’Offenbach et de Lecocq. Il est donc le petit-fils de Moïse Millaud, fondateur du Petit Journal. Secrétaire-rédacteur de 1907 à 1937. Ami d’Édouard Herriot, de Tristan Bernard, etc., il est membre de l’Académie des gastronomes (1932 : Le club des Cent ; histoire d’un club gastronomique) et de la société J.-K. Huysmans. Il est également amateur de photographie : à partir de 1907, il photographie les députés avec un appareil-espion fabriqué par Gaumont ; il aurait été le premier à utiliser un appareil 35 mm en 1905.

Secrétaire-rédacteur de 1904 à 1938. A publié, outre l’article cité plus haut ( » Le laboratoire d’où sortent nos lois « , Science et vie, juin 1914, p. 305 et sv.), La Chambre des députés, guide pratique des séances, 1933.
46. Pierre-Édouard WEBER
(Bâle, 1872 – ?). Avocat à la Cour d’appel de Paris, de 1894 à 1906. Entre au compte rendu en 1906. Y serait resté jusqu’en 1936. Spécialiste d’hygiène sociale (L’ouvrier stable et l’habitation ouvrière – en collab., 1897). Trésorier de la Ligue anti-allemande pendant la première Guerre mondiale.
47. Charles COLAS
(1879-?) Entre en juin 1909 après avoir été rédacteur au ministère des travaux publics. Licences de lettres et de droit. Publie en 1912 un Guide de l’électeur présentant la nouvelle loi électorale et a écrit au moins un article (sur « L’indemnité parlementaire »). Retraite en 1943. Caporal en août 1914, il avait été fait prisonnier à Dixmude ; avant d’être rapatrié comme grand blessé en octobre 1917, il avait été interné en Suisse où il fut l’un des organisateurs du « Sanatorium des alliés ».
48. Fernand GALMARD
(Mamers, Sarthe, 1863 – 1913). Professeur de philosophie et publiciste, il est nommé secrétaire-rédacteur en mars 1911 et meurt peu après.
49. Adrien PAULIAN
(1886-1967), fils de Louis Paulian. Docteur en droit, avec une thèse sur « La recognizance dans le droit anglais. Contribution à l’étude de la liberté individuelle » (1911), il traduisit aussi, de l’anglais, une Esquisse du droit criminel anglais (1921). Il était attaché au secrétariat général en 1912 et secrétaire-rédacteur dès 1913. Dirige le service après-guerre jusqu’en 1952.
La particule n’est pas d’origine ! (Bar-le-Duc, 1878-1955). Études de lettres et de droit. Archiste-paléographe, il est archiviste de la Chambre à partir de 1904, et devient secrétaire-rédacteur en 1914. Le restera juqu’en 1933. Secrétaire de la commission des mines et de la force motrice. En 1926, il entre au conseil municipal de Paris au titre du 3e arrondissement (Arts-et-Métiers), et en sera un temps vice-président – son mandat est prolongé en 1940. A adhéré au Rassemblement national populaire de Déat et collaboré à La Gerbe d’Alphonse de Châteaubriant.
Auteur de Les forces historiques de la France, La tradition dans l’orientation politique des provinces (1928), de Considérations sur la cuisine (1931) et de Bernadotte, un roi de Suède français (1942), ainsi que de brochures ( L’échiquier politique et parlementaire, 1930 ; À la recherche de l’argent perdu, 1936…).