Sous la monarchie de Juillet

  1. Louis Pierre Marie Auguste DENIS (de) LAGARDE

(Paris, 1803- Paris, 1878). La tradition familiale en fait le fils naturel d’Eugène de Beauharnais et d’une dame Fanny Dervieux du Villars. Le Premier Consul aurait fait adopter le bâtard par un protégé de Portalis, Pierre-François Denis-Lagarde, qui, au sein du Conseil des prises, défendait les intérêts des armateurs bretons et (en contrepartie ?) fut chargé d’organiser la gendarmerie (1803) et de prendre en main la direction de la librairie. Ce Denis-Lagarde poursuivra une belle carrière de “ policier de l’Empereur ” (à Milan, en Vénétie, au Portugal, à Florence, à Madrid) avant de finir au Conseil d’État. Voir site familial. Ajoutons qu’il avait commencé sa carrière comme professeur de belles-lettres à Louis-le-Grand avant de devenir chef de bureau au ministère de la marine, passant au ministère des affaires étrangères après le 9 thermidor tout en étant le principal rédacteur du Journal de Perlet. Voir Biographie bretonne, tome II, p. 107 ; Biographie universelle et portative des contemporains, vol. 2, partie 1, p. 76 ; Biographie des préfets, de Lamothe-Langon (1826), p. 277, et, pour ses relations avec Fanny Dervieux, « le Prince Eugène et la cousine de Bolivar », d’André Gavoty (Les drames inconnus de la cour de Napoléon, II, Fayard, 1962, p. 35-50) – où il n’est cependant pas question de Louis.

Son fils adoptif, avocat à la Cour royale, est cité comme secrétaire particulier du maréchal Sébastiani par le Dr Véron (Revue de Paris, vol. 17-18, 1830, p. 181) et comme collaborateur, avec son père (alors directeur de la police générale ?), du Courrier français. La Biographie universelle et portative lui attribue en outre un Résumé de l’histoire de l’Ile de France, de l’Orléanais et du pays chartrain (1826). Il entra donc à la Chambre des Députés comme secrétaire-rédacteur en 1829, en remplacement d’Aimé Martin : il fut élu par 171 voix, contre 159 à Delalonde (non identifié) et 9 à Hercule Guillemot, qui sera en 1836 le premier rédacteur en chef du Siècle après l’avoir été du Messager, puis deviendra directeur de la Caisse des dépôts et consignations. À partir de 1830, « Denis Lagarde » est chef de la division des procès-verbaux et des pétitions de la Chambre. Il en dirigera le secrétariat jusqu’en 1863.

Collection Boal USA. Ce portrait est tiré, avec son autorisation, du site de Bernard Huguenin auquel j’ai déjà renvoyé plus haut.

Selon Simon Bérard (Souvenirs historiques sur la Révolution de 1830, 1834, p. 459), le 29 juillet 1830, « M. Denis Lagarde, secrétaire rédacteur de la Chambre, a été introduit [chez le banquier Jacques Laffitte], et a réclamé l’honneur d’exercer ses fonctions au sein de la réunion des députés » – suit un compte rendu des discussions [auxquelles participent Guizot, Dupin, le baron Louis, Lafayette, etc.], que Denis Lagarde est chargé de porter aux journaux (459-507) ; voir aussi Vaulabelle, Histoire des deux restaurations (t. VII, p. 412 ; t. VIII, 1860, p. 346), ou Mémoires du général Lafayette publiés par sa famille, Bruxelles, t.II, 1839, p. 545, note 1 : « Les procès-verbaux qui ont eu lieu le 23, le 30 et le 31 juillet, ont été rédigés par M. Denis Lagarde, secrétaire rédacteur de la chambre et seul admis aux séances en cette qualité. Le procès-verbal du 31 est le premier qui ait paru dans le Moniteur avec quelques retranchements dans les discussions relatives aux dangers publics. On voit dans celui du surlendemain, qu’à partir du 2 août la réunion des députés reprend son titre de chambre des députés. La séance du 29, présidée par M. Laffitte, commença à midi – Les procès-verbaux de M. Denis Lagarde nous paraissent précieux, comme les seuls documents qui aient été publiés sur ces premières séances ; mais ils ne contiennent qu’un compte rendu très-sommaire où doivent se trouver nécessairement plusieurs omissions et quelques inexactitudes indépendantes de la volonté du rédacteur. »

Lagarde fit apparemment preuve de la même diligence lors des changements de régime suivants. En novembre 1848, il contresigne, après le président Marrast, le procès-verbal de la promulgation officielle de la Constitution.
On ne sait ce qu’il fit pendant les quinze ans qui suivirent son départ à la retraite, sinon qu’il fréquentait le salon de Victor Hugo en 1874.

« Il ne manque au Corps législatif que du jour, de la lumière. La publicité de ses séances n’est que crépusculaire ; les analyses et les procès-verbaux du Moniteur, sans mouvement, sans vie, ne mettant en relief aucune des impressions que ressent le Corps législatif, nivellent tous les orateurs, font de la Chambre un corps sans âme, privé du sens moral, insensible au bien comme au mal, à la vérité comme à l’erreur ; tous les discours sont, pour ainsi dire, éteints par ce badigeon blafard dont les dix-septième et dix-huitième siècles couvraient les chapiteaux et les peintures des vieilles cathédrales. M. Denis Lagarde, qui prend le titre officiel de secrétaire-rédacteur, chef du service des procès-verbaux et du compte rendu, est dans le Moniteur l’orateur ordinaire et unique de la Chambre ; je le tiens certainement pour un homme d’esprit et de talent, mais il remplit une difficile et triste charge, celle de disséquer les discours, de les dépouiller de leurs muscles, de leurs nerfs, de leur sang artériel et vivifiant ; on a, pour ainsi dire, fait de M. Denis Lagarde un costumier chargé de mettre un uniforme à la langue française. » (Dr Louis Véron, député au Corps législatif, Quatre ans de règne, 1857, pages 185-6.)

Napoléon III ne pensait pas autrement. D’après Rémusat (Adolphe Thiers, p. 136), lorsqu’on lui parlait « des » orateurs du Corps législatif, il répondait : « Mais je n’en connais qu’un seul : M. Denis Lagarde ! » Dans un de ses pamphlets (L’abstention, daté de 1863, mais l’édition est de 1868), le futur communard Auguste Rogeard en fait une pièce du système de surveillance impérial : « M. de Morny eut ordre de laisser les députés, au jour de l’an, s’amuser un peu à jouer à la députation, et à figurer entre eux des débats parlementaires ; d’un autre côté, M. Billault eut ordre d’allonger de trois doigts les lisières de la presse ; mais comme Denis Lagarde surveillait les jeux des petits tribuns, et M. Billault ceux des folliculaires, on n’eut aucun désordre à déplorer dans leurs récréations, et il est juste de reconnaître que, depuis quatre ans qu’on les laisse ainsi courir dans la maison, ils ont été sages et n’ont rien cassé.« 

8. Antoine CERCLET

(1797-1849). Né en 1797 d’un père médecin établi en Russie. Orphelin de bonne heure, il fut formé à l’Académie de Genève, où il aurait rencontré Buonarotti. Commence une traduction de l’Histoire du droit romain au Moyen Age, de Savigny. Devenu avocat à Paris, il aurait trempé dans des complots (comme carbonaro ?), puis on le retrouve saint-simonien et rédacteur général du Producteur (1825-1826) : l’ambition est de propager une nouvelle science, l’économie politique. Il ouvre ses colonnes à Auguste Comte, mais se détache des saint-simoniens en 1826. Publie en 1828 Du ministère nouveau. Rédacteur et gérant du National sous Carrel (1830-36 ?). A fréquenté, outre les saint-simoniens, Balzac, Stendhal, Mérimée, etc. chez Delécluze.

On rencontre surtout son nom dans les biographies d’Auguste Comte : il aurait acheté à sa mère le pucelage de Caroline Massin, aurait ensuite pourvu celle-ci d’un cabinet de lecture ; lorsque Auguste Comte l’épouse (1825), il est témoin de la mariée et s’occupe de faire rayer son nom du registre de la prostitution (Gouhier, Vie d’Auguste Comte, p. 133).

« Obtient de Dupin, président de la chambre, la place de secrétaire de la présidence », lit-on dans les dictionnaires biographiques. C’est en effet le titre qu’on lui donne lorsqu’en 1834, il est élu secrétaire-rédacteur à la place de Silans, contre deux autres avocats, par 260 voix sur 322. Maître des requêtes au Conseil d’Etat en 1846, membre de la commission des chemins de fer.

S’il a été conspirateur, il fréquente maintenant le ministre de l’intérieur : en 1835, il dénonce le « complot de Neuilly » qui se préparait contre le roi. »Aujourd’hui, n’écrit plus que dans le Journal des Débats et marguillier de Sainte-Valère, paroisse du Palais Bourbon » (La littérature fr. contemporaine de J. M. Quérard et al., 1846).

Lagarde et Cerclet publièrent ensemble, en 1836, un Annuaire parlementaire qui n’eut pas de suite. En 1842, ils émargeaient respectivement pour 8 000 et 7 000 F.

Jean-Baptiste Philippe VALETTE

(Branceilles, Corrèze, 1804 – Versailles, 1877), avocat. Mentionné en 1837 parmi les secrétaires-rédacteurs à la suite des précédents, mais avec la précision : « secrétaire de la présidence ». Ce sera son titre de 1834 jusqu’en 1875, avec peu de variantes : « secrétaire général de la présidence », puis « secrétaire général de l’Assemblée nationale ».

Peu après son arrivée, il rédige un Manuel financier, contenant le texte des dispositions législatives et autres documents qu’il importe de connaître pour éclaircir le vote des lois financières, « ouvrage composé pour l’instruction de MM. les députés ». En 1839, en collaboration avec un autre avocat, Gustave Bénat Saint-Marsy, il publie un Traité de la confection des lois qui annonce celui d’Eugène Pierre. Le sous-titre en est Examen raisonné des règlements suivis par les assemblées législatives françaises, comparés aux formes parlementaires de l’Angleterre, des Etats-Unis, de la Belgigue, de l’Espagne, de la Suisse, etc. Ce travail sera poursuivi par son gendre et successeur, Jules Poudra (1829-1884), en collaboration avec Eugène Pierre (cf. Pierre Favre, « La constitution d’une science du politique », I, in Revue fr. de science politique, 1983, vol. 33, n° 2, p. 214). En 1852, Valette donne Mécanisme des grands pouvoirs de l’Etat et en 1856 un Guide-manuel du conseiller général.

Propriétaire dans l’Indre (La Vilette) et conseiller général, il semble qu’il se soit intéressé à l’agronomie : on trouve sous son nom des brochures intitulées Agriculture dans quelques terres argilo-siliceuses du Berry (1858), Améliorations agricoles dans le centre de la France (id.), Le progrès agricole par le colonage partiaire (1866). Il était également administrateur de la compagnie d’assurances La Paternelle. Le bibliothécaire Jérôme Mavidal (1825-1896), éditeur des Archives parlementaires et chef du service des procès-verbaux, était son neveu, né comme lui à Branceilles.
Surnommé, selon Claveau, « Bureaucrate Ier« . En 1871, alors que l’Assemblée emménageait au Grand Théâtre de Bordeaux, l’archiviste Henri Welschinger le voit comme « un grand vieillard sec, froid et très érudit, le type incarné du vieux parlementaire (…) adossé aux rochers de Guillaume Tell« , formant apparemment contraste avec son gendre “l’aimable et regretté Jules Poudra, alors chef de bureau de la Présidence” (Revue des deux mondes, 1914, p. 68).