Un procès-verbal de Locré
Séance du 5 vendémiaire.
On consacrait le principe que les enfants doivent des aliments à leurs père et mère. On demandait que l’obligation fût réciproque. On proposait de s’en rapporter aux sentiments que la nature a mis dans le cœur des parents. On disait que, dans tous les cas, le fils majeur n’avait aucun droit à des aliments.
PROPRES PAROLES DU PREMIER CONSUL.
« Voulez-vous qu’un père puisse chasser de sa maison une fille de quinze ans ? Un enfant peut être infirme, sourd-muet. Un père qui aurait 60,000 francs de rente pourrait donc dire à son fils : Tu es gros et gras, va-t-en labourer. Il pourrait abandonner ainsi à la misère celui qui doit lui succéder ? » BERLIER : « Les tribunaux jugeront si le fils est invalide. » LE PREMIER CONSUL : « Je vous arrête là. Qu’est-ce que valide ? Le père pourra-t-il envoyer son fils demander son pain ? S’il a été élevé dans l’aisance, le père doit lui continuer des secours tant qu’il en a les moyens. »
TRONCHET : « Il faut laisser cela aux tribunaux, etc. » LE PREMIER CONSUL : « Le citoyen Tronchet vient de prouver qu’on ne pouvait pas fixer par la loi la quotité des aliments ; mais le père n’en doit pas moins élever son fils jusqu’à la majorité, et lui fournir ensuite des aliments. Un père riche ou aisé doit toujours à ses enfants la gamelle paternelle. Dans l’état actuel des choses, j’irais chez un avocat qui trouverait dans la jurisprudence les moyens de me faire obtenir des aliments ; si votre système passait, je ne pourrais plus en avoir, les tribunaux les refuseraient. » Plusieurs membres insistèrent pour le respect dû à l’autorité paternelle. LE PREMIER CONSUL : « Vous forcerez les enfants à tuer leurs pères. »
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PROCÈS-VERBAL IMPRIMÉ.
« Il serait révoltant de laisser à un père riche la faculté de chasser de sa maison ses enfants, après les avoir élevés, et de les envoyer pourvoir eux-mêmes à leur subsistance, fussent-ils même estropiés. Telle est cependant l’idée que présente la rédaction. Si elle pouvait être admise, il faudrait donc aussi défendre aux pères de donner de l’éducation à leurs enfants ; car rien ne serait plus malheureux pour ces derniers que de s’arracher aux habitudes de l’opulence et aux goûts que leur aurait donnés leur éducation, pour se livrer à des travaux pénibles ou mécaniques auxquels ils ne seraient pas accoutumés. Pourquoi, si le père était quitte envers eux lorsqu’il les a élevés, ne les priverait-on pas aussi de sa succession ? Les aliments ne se mesurent pas seulement sur les besoins physiques, mais encore sur les habitudes ; ils doivent être proportionnés à la fortune du père qui les doit, et à l’éducation de l’enfant qui en a besoin. » TRONCHET : « L’obligation imposée au père de fournir des aliments à son fils est absolue; mais la loi doit se borner à en consacrer le précepte et laisser le juge l’appliquer suivant les circonstances. » LE PREMIER CONSUL : « Á la vérité la loi ne peut pas déterminer précisément la quotité des aliments qui seront dus par le père ; mais elle peut déclarer en général que le père est tenu de nourrir et d’élever ses enfants mineurs, et de les établir quand ils sont majeurs ou de leur fournir des aliments. Le fils, en effet, a un droit acquis aux biens du père. L’effet de ce droit est suspendu tant que le père vit ; mais alors même il se réalise dans la mesure des besoins du fils. Cependant si la loi déclare qu’il n’est point dû d’aliments au fils majeur, elle met les tribunaux dans l’impossibilité d’en adjuger. » |
On lut l’article suivant : « Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari. » Sur le mot obéissance.
CRETET : « Les lois l’ont-elle imposée ? »
LE PREMIER CONSUL : « L’Ange l’a dit à Adam et Ève. On le prononçait en latin lors de la célébration du mariage, et la femme ne l’entendait pas. Ce mot-là est bon pour Paris surtout où les femmes se croient en droit de faire ce qu’elles veulent. Je ne dis pas que cela produise de l’effet sur toutes ; mais enfin cela en produira sur quelques-unes. Les femmes ne s’occupent que de plaisir et de toilette. Si l’on ne vieillissait pas, je ne voudrais pas de femme. Ne devrait-on pas ajouter que la femme n’est pas maîtresse de voir quelqu’un qui ne plaît pas à son mari ? Les femmes ont toujours ces mots à la bouche : « Vous voulez m’empêcher de voir qui me plait ! »
Séance du 14 vendémiaire.
Le divorce fut adopté en principe. Il ne s’agissait plus que d’en déterminer les causes. Portalis voulait le rendre très-difficile.
PROPRES PAROLES DU PREMIER CONSUL.
« Le système du citoyen Portalis se réduit à ceci. Le principe de la liberté des cultes exige qu’on admette le divorce. L’intérêt des mœurs demande qu’on le rende difficile. Ainsi, dans ce système, ce n’est pas par des vues politiques que le divorce est admis. Il ne le serait pas, s’il n’était dans les principes d’aucun culte. D’un autre côté, il deviendrait si difficile et si déshonorant qu’il serait en quelque sorte exclu. » LE PREMIER CONSUL : « Il est permis de se marier à 15 et à 18 ans, c’est-à-dire, avant l’âge où il est permis de disposer de ses biens ; croit-on que cette exception, faite en faveur du mariage aux principes généraux sur la majorité, doive faire établir que, quoique l’un des époux ait reconnu l’erreur dans laquelle il est tombé à un âge aussi tendre, il ne pourra néanmoins la réparer sans se flétrir ? C’est tout au plus ce qu’on pourrait décider si le mariage n’était autorisé qu’à vingt ans et à vingt-un ans. On a dit que le divorce pour incompatibilité est contraire à l’intérêt des femmes, des enfants, et à l’esprit de famille ; mais rien n’est plus contraire à l’intérêt des époux, lorsque leurs humeurs sont incompatibles, que de les réduire à l’alternative, ou de vivre ensemble, ou de se séparer avec éclat. Rien n’est plus contraire à l’esprit de famille qu’une famille divisée. Les séparations de corps avaient autrefois, par rapport à la femme, au mari, aux enfants, à la famille, à peu près les mêmes effets qu’à le divorce. Cependant elles étaient aussi multipliées que les divorces le sont aujourd’hui ; mais elles avaient cet inconvénient, qu’une femme déhontée continuait de déshonorer le nom de son mari, parce qu’elle le conservait. Le respect pour les cultes obligera d’admettre la séparation de corps ; mais il ne serait pas convenant de restreindre tellement le divorce par les difficultés qu’on y apporterait, que les époux fussent tous réduits à n’user que de la séparation. |
PROCÈS-VERBAL IMPRIMÉ.
« Votre système est fondé sur ce qu’il y a des catholiques et des protestants ; mais vous rendez l’obtention du divorce si difficile qu’elle est inconciliable avec les bonnes mœurs. Si vous en étiez le maître, vous n’admettriez pas le divorce ; car ce n’est pas en vouloir que de le rendre déshonorant pour ceux qui le demanderaient, excepté pour les hommes à masque de bronze. Est-ce là votre système ? »
LE PREMIER CONSUL : « Vous avez fixé l’âge du mariage pour les filles à quinze ans. A cet âge, elles ne peuvent ni aliéner leurs biens, ni contracter ; tout ce qu’elles feraient serait nul. Ainsi le veulent la politique et la nature des choses. Vous faites cependant une exception pour le mariage. « Un individu qui se sera marié mineur, dans un temps où il n’avait pas une grande prévoyance, s’apercevra par la suite qu’il s’est trompé, qu’il n’a pas trouvé dans l’être qu’il a choisi les qualités qu’il espérait, et il ne pourra dissoudre son mariage sans flétrir cet être et sans se déshonorer lui-même ? Si vous aviez fixé l’âge du mariage à vingt et un ans ce serait différent.
PORTALIS : « L’homme est le ministre de la nature. La société vient s’enter sur elle. On lit dans les livres le pacte social ; je n’entends pas cela, l’homme est sociable et le mariage est dans la nature. » |