accueil

PLUS DE 210 ANS DE SECRÉTARIAT DES DÉBATS PARLEMENTAIRES

Les assemblées parlementaires ont longtemps eu deux comptes rendus de leurs séances : l’intégral, destiné au Journal officiel, et l’analytique (CRA) qui, confectionné plus rapidement et disponible en principe au début de la séance suivante, permettait aux députés, au Gouvernement et aux journalistes de suivre le débat en différé. Le premier faisait, et fait encore, foi pour l’éternité ; le second, moins complet, n’était qu’un instrument de travail éphémère.

A même existé à l’Assemblée un troisième compte rendu, dit printing, rédigé au fil de la plume, dactylographié immédiatement par des agents de l’AFP et diffusé par téléscripteurs en même temps qu’affiché feuille à feuille à la porte de l’hémicycle. Du « Twitter », mais en continu. Le Sénat, qui en disposait encore il y a peu, l’appelait sommaire et y consacrait simultanément deux personnes, ce qui permettait de le compléter et de le corriger ; à l’Assemblée, l’exercice était accompli en solitaire, dans des conditions par conséquent périlleuses : à peine se félicitait-on d’un raccourci heureux qu’on abîmait lamentablement la suite. Et souvent, dans les discussions d’amendements, l’on n’avait que le temps de noter les décisions… Ce compte rendu était un excellent entraînement à la synthèse, mais si frustrant que sa suppression fut finalement un soulagement.

Le compte rendu intégral, ex-sténographie, ayant réduit ses délais de parution – une version provisoire était désormais disponible quelques heures après la fin de la séance –, le « compte rendu analytique officiel » a été supprimé en 2008 et ses membres, les secrétaires des débats, se sont redistribués entre le compte rendu de la séance (CRS) et « les » comptes rendus des commissions (CRC), dont la dernière révision constitutionnelle imposait la création, la discussion en séance publique se faisant désormais sur la base du texte adopté en commission.

Le CRA appartient donc maintenant à l’histoire, mais quelle histoire ? Au moment où il disparaissait, nous découvrions que nous en ignorions tout, hormis quelques noms ou anecdotes. D’où l’idée de recouvrer ce passé. N’étant pas historien, mon principal objectif a été d’identifier nos prédécesseurs et de retracer leur biographie, plus ou moins indépendamment de leur contribution à l’institution parlementaire. Leur production professionnelle n’ayant en effet qu’une validité de quelques jours, il est assez difficile d’en retrouver les traces et, d’autre part, beaucoup se sont signalés par une seconde carrière, antérieure, parallèle ou postérieure, parfois atypique. D’où, notamment, un nombre non négligeable d’œuvres de tous genres…

En bref, on proposera avant tout une galerie de biographies, en recourant largement à l’archive pure, et on complétera cette prosopographie par une anthologie – qui fera, au moins dans un premier temps, place belle à un certain Gaston Bergeret dont j’ai découvert, chemin faisant, quelques nouvelles savoureuses.
La collecte d’archives entraîne une limitation temporelle, imposée par le respect du droit d’auteur et par l’utilisation, comme sources principales, de Gallica, de Google-Livres, des collections de Geneanet et d’Internet-Archive. Au surplus, la piété catégorielle a ses limites… et, alors que l’archive est facilement goguenarde, je me voyais mal soutenir ce ton s’agissant de mes prédécesseurs proches ou de mes contemporains, auxquels m’attache évidemment un violent respect. Je m’arrêterai par conséquent aux cinquante secrétaires-rédacteurs en activité de 1795 jusqu’à la veille de la Grande Guerre, du moins pour l’instant : cela laisse un siècle à ceux qui voudraient poursuivre le travail.

En revanche, si l’on date la naissance du CRA de 1861, il prenait la suite des Procès-verbaux, assurés depuis 1795 par les secrétaires-rédacteurs dits de l’an III — l’appellation de “secrétaires des débats”, que nous avons conservée jusqu’à la fin, ne datant que de la IVe République —, et je remonterai donc jusqu’à eux, me réservant même d’évoquer un jour des prédécesseurs tels que Barère et Maret.

 

La profession est héritière des notarii formés par Tiron, sous la direction de Cicéron, pour transcrire les discours des sénateurs romains. C’est pourquoi j’ai pris pour emblème de ce site un notaire : en l’espèce Pere Girona, qui œuvra en 1293 pour le roi Jacques II de Majorque. La miniature, tirée du capbreu (terrier, de capibrevium, qui comporte une idée de brièveté) de Tautavel, le montre en train de consigner la déclaration que fait un certain Joan Grella au procureur du roi Guillem de la Capella (en rouge, à droite).

Mais on aurait pu tout aussi bien extraire Barère du Serment du Jeu de paume, ou Locré du tableau de Couder, ou encore emprunter au relief de Lemot, devant lequel nous avons tous officié…

…ou même reprendre l’illustration de ce menu concocté par nos prédécesseurs de 1922 pour un dîner partagé avec leurs collègues du Sénat :

À un moment où il était question de rebaptiser les secrétaires des débats, refusant « analystes » adopté par nos collègues du Sénat et après avoir milité en vain pour « protonotaires », j’avais proposé – avec le même succès – une autre dénomination qui avait l’avantage de se traduire facilement dans d’autres langues et donc d’être utilisable dans des réunions parlementaires internationales, où par exemple nos collègues anglais figuraient comme precise writers.
Th. Bachelet (Dictionnaire général des lettres, des beaux-arts et des sciences morales et politiques, 1862), après avoir relevé que : « les abrégés sont utiles dans une littérature surchargée de richesses par de longs travaux, mais ils exigent de leurs auteurs un véritable talent. Bien composés, ils ont parfois fait oublier les originaux : c’est ainsi que l’élégant Abrégé de Justin a peut-être causé la perte de l’Histoire universelle de Trogue-Pompée… » et énuméré les autres livres ainsi condamnés à l’oubli, signalait une sous-espèce qui se distingue en ce qu’on y « reproduit autant que possible les expressions des auteurs originaux » — ce qui est le cas du compte rendu analytique qui, selon la formule de Jean Pouillon, consiste à faire passer pour la tête authentique celle qu’on a réduite au prix d’un travail de Jivaro. Il s’agit de l’épitomé (nom masculin). Or le mot a un dérivé, épitomiste, qui convenait au propos – ce serait d’ailleurs Chateaubriand qui l’aurait introduit dans notre lexique : l’empruntant à Milton (préface à la traduction du Paradise Lost), il a composé un paradigme épitôme / épitomiste, sur le modèle fantôme / fantomatique. On trouve par ailleurs trace d’un verbe épitomer, mais épitomiser me paraît également acceptable.
La distinction faite par Bachelet ne se retrouve pas ailleurs, à ma connaissance, mais j’aime assez cette conjonction de l’abréviation et de la fidélité. Épitomé a un autre mérite, perceptible dès qu’on feuillette un dictionnaire d’anglais. Resté en usage dans cette langue, il en est venu tout logiquement à signifier, à côté d’“image en réduction” ou de “condensé”, “quintessence”, “exemple même”, voire “incarnation” : “He is the epitome of elegance”, il est l’élégance même ; “the epitome of Romanticism”, la quintessence du Romantisme (Harraps) ; “A man so various that he seemed to be / Not one, but all mankind’s epitome” (Dryden cité par le Webster). Pour autant, on ne peut parler d’anglicisme : le terme existe aussi en français du Québec, où l’on trouve des énoncés comme “Sophia Loren est l’épitomé de la femme” (sic) sans sous-entendre pour cela qu’elle en soit un modèle réduit. Il s’agit bien plutôt de la réalisation de l’Idée.